Le procédé est quasi-automatique - et précède souvent la première rencontre en tête-à-tête. On fait la connaissance de quelqu'un qui peut potentiellement nous plaire via des ami·es, une appli, un cours de poterie. On prévoit un verre, puis vient la veille du jour J. Là, presque inévitablement, on le ou la stalke en ligne. Réseaux sociaux, Google, LinkedIn. Même les comptes de ses potes - voire de sa famille, voire du chat de sa cousine - sont passés au crible sous prétexte qu'on souhaite se faire une idée du personnage. On se dit qu'on sera certainement plus à même de détecter les éventuels "red flags" à travers l'écran, et donc de se protéger d'un énième plan foireux. "Mieux vaut prévenir que guérir", se convainc-t-on en écumant ses posts de 2015, un hochement de tête assuré accompagnant notre pouce qui n'en finit plus de scroller. Le moindre indice alimente notre fichier sur la personne. Et son interprétation - plutôt discutable - avec.
Il ou elle a subitement arrêté de prendre des photos avec un·e certain·e Alex il y a moins de deux mois ? Traduction : rupture récente, indisponibilité sentimentale. Aucune publication ne laisse entrevoir la moindre relation ? Traduction : peur chronique de l'engagement, adepte du ghosting. Plus de selfies que de traits d'humour ? Traduction : ego démesuré et ennui mortel au programme. Bien sûr, le côté positif a aussi sa part belle dans l'histoire. Il suffit d'ailleurs qu'on identifie l'once d'un point commun pour que notre cerveau s'emballe. Et après une bonne heure à composer un semblant de personnalité à partir de bribes d'infos approximatives dénichées sur Internet, on arrive pleine de préjugés - bon ou mauvais - au premier date. Spoiler : c'est là que ça se gâte.
Quand on enchaîne les histoires - et de surcroît celles qui retombent comme un soufflé -, on souhaite s'assurer que les risques de se prendre un mur restent minimes avant de s'investir. Jusque là, rien d'alertant. Seul souci, quand cette protection passe par un bilan digital assidu, on a de bonnes chances de dresser un portrait complètement à côté de la plaque de l'autre, et pire, d'agir en fonction de sa projection. Pour peu qu'il ou elle nous impressionne un minimum par son cursus ou ce qu'on devine de son aura, on se retrouve rapidement sur un pied d'inégalité, démarrant l'aventure par un déséquilibre souvent peu concluant.
Ce dont il faut prendre conscience, c'est qu'il semble difficile de prendre le temps de connaître quelqu'un quand notre vision est biaisée par une enquête préalable rondement menée. On s'est déjà fait notre avis sur certains aspects anticipés de sa personnalité, et on a du mal à rester neutre.
Pour la petite histoire, Instagram étant une de mes passions, j'ai longtemps eu le réflexe de stalker avant de dater. Quand j'habitais à Londres, ça m'a joué plusieurs tours, dont un assez parlant. C'était le frère d'un ami que j'avais vaguement aperçu lors d'un après-midi chez ce dernier. Il m'avait fait rire deux secondes, il avait un style vestimentaire appréciable, je me suis dit "pourquoi pas creuser l'affaire". Coup de bol, je lui plaisais aussi. On a vite convenu d'un rendez-vous. Et j'ai aussitôt scruté ses réseaux.
Toutes ses photos étaient impeccablement léchées, légendes sarcastiques hilarantes en prime. Il avait l'air de connaître du beau monde, de traîner dans des endroits homologués "cool". La boule d'insécurités que j'étais à l'époque a analysé le phénomène de manière très claire : "Je ne suis sûrement pas 'assez' pour lui". J'ai débarqué en me persuadant qu'il fallait que je mette le paquet pour retenir son attention. Erreur. Notre unique rencard s'est résumé en un fiasco dont j'étais l'autrice, à force d'en faire trois tonnes pour être "à la hauteur", et de prétendre m'intéresser à des choses qui m'ennuient profondément pour plaire à cette image que l'Anglais renvoyait sur Instagram. On ne s'est pas revus, et j'ai encore des frissons de gêne au souvenir de certains moments-clés de la soirée - comme lorsque j'ai (longtemps) chantonné sur Nights, de Frank Ocean, qui passait en musique de fond au resto, parce qu'il avait posté le morceau sur Facebook. Oui, douloureux.
Tout est bien qui finit bien : je suis aujourd'hui avec un allergique aux applis du genre, et plutôt persuadée qu'apprendre à le connaître au fil d'échanges directs et non de publications virtuelles, a eu un véritable impact sur la qualité de notre relation.
Au fond, ce qui commande notre besoin de stalker reste davantage notre crainte du coeur brisé qu'une curiosité maladive. On ne veut pas tomber dans un piège que l'on ne connaît que trop bien. On ne souhaite pas se retrouver en pleurs un samedi soir en se martelant "t'aurais dû le voir venir !" après un ultime message sans réponse. On flippe parce que le grand bal des relations amoureuses craint, et qu'avant de mettre la main sur celui ou celle qui nous correspond, on est forcée d'essuyer une bonne tripotée de pots cassés. Seulement c'est justement en étant le plus naturel·le possible avec sa façon de fonctionner et ses envies quelles qu'elles soient, et en mettant de côté ce stratagème rassurant mais rarement efficace, qu'on y arrivera.
Comme le note une journaliste de MindBodyGreen, "sortir avec quelqu'un est une situation émotionnellement compliquée. Cela devrait être le bordel. Mais vous pouvez économiser beaucoup d'énergie mentale et de temps en consacrant ces derniers à apprendre à connaître quelqu'un, plutôt que d'essayer de peindre une image basée sur vos recherches Internet afin d'éviter les déceptions futures."
On ne vous garantit pas que vous ne serez plus déçue en zappant la case stalking pré-date, mais au moins, vous aurez mis toutes les chances de votre côté pour entamer une potentielle relation saine, et dénuée de faux semblant.