Il y a quelques mois, lors d'une insomnie propice au retournement de cerveau, je me suis rappelée d'une conversation avec l'une de mes amies. Une fille à l'origine plutôt sûre d'elle, qu'on appellera Emma, et qui se rongeait les sangs car elle venait de découvrir que son mec suivait son ex de façon assez obsessionnelle sur Instagram (la section "activité de vos abonnés" et "profils consultés récemment" des réseaux nous en dit beaucoup plus que ce qu'on voudrait savoir).
Une découverte qui ne vaut certes pas une trace de rouge à lèvres sur son col de chemise, ni un "Je t'attendrai nue, chambre 307, à l'Hôtel Grand Amour" reçu dans son téléphone, mais qui assaille tout de même de doutes la personne qui tombe dessus - et Emma n'a pas fait exception.
Au bout de trente secondes sur le fil de l'autre, elle s'était métamorphosée en une boule négative de comparaison nocive. Elle pensait à ce que son mec trouvait à cette fille et qu'elle n'avait pas, ce qui lui manquait chez elle pour qu'il "stalke" l'ancienne et pourquoi il avait encore besoin de garder un oeil (voire deux) sur ladite ex, alors qu'il était soi-disant heureux en couple depuis bientôt deux ans.
Je me suis demandée si les réseaux sociaux n'avaient pas un peu modifié notre façon de penser ou de vivre nos relations. Nos rencontres sont déjà différentes de l'ère pré-smartphone, grâce à Tinder notamment, mais qu'en est-il du couple et de la confiance qui y règne ? La fenêtre sur l'intime qu'offre Internet mène-t-elle à une nouvelle façon de trahir son partenaire ? Et surtout, est-ce forcément condamnable ?
"Avec les réseaux sociaux, l'important est de savoir s'il y a une obsession ou non", explique Nathalie Bénet-Weiler psychothérapeute et sexologue. "Cela peut être une simple curiosité, une envie innocente de voir ce que quelqu'un devient, et donc un mécanisme anodin s'il n'est pas intensif."
C'est vrai que le principe même d'Instagram est de regarder la vie des gens, que l'on connaît ou non, sans avoir à se manifester. Le voyeurisme 2.0 fait partie de notre quotidien et pas grand monde y trouve à redire : on l'alimente de notre plein gré.
Hector, 30 ans, en couple depuis un an et demi, est justement de ceux qui vont jeter un coup d'oeil furtif à des profils de femmes avec qui il n'a pas d'antécédents amoureux. Des blogueuses, des amies, des inconnues, des connaissances. Un comportement à l'origine innocent qui a pourtant failli faire vaciller son couple :"Lorsque ma copine s'est mise sur les réseaux, son premier réflexe a été de vérifier qui je suivais, qui je 'likais'. C'est vite devenu un sujet de dispute, voire une raison de rupture".
Pour la Dre Bénet-Weiler, il ne faut pas dramatiser ce jeu narcissique, ni obligatoirement prêter de mauvaises intentions à son partenaire : "Ce qu'il faut se demander, c'est est-ce que je veux rentrer dans ce délire du faux ou alors est-ce que je me dis que ce n'est pas très grave ? Il n'y a pas forcément de désir derrière !"
Eviter de projeter autre chose qu'un regard passager et ne pas se comparer à tout bout de champ non plus. Tout cela est une question de confiance en soi, "il faut apprendre à être forte de son potentiel", ajoute-t-elle. On aurait presque envie d'imprimer ce mantra sur un t-shirt.
Là où ça commence à sentir le sapin en revanche, c'est quand le coup d'oeil se transforme en fixette. Quand l'autre - ou soi, d'ailleurs - traîne un peu trop sur les conversations, les photos, les heures de connexion d'une tierce personne.
Julie, 27 ans, en couple depuis deux ans et sûrement détective privée en devenir, admet avoir dépassé les limites pour stalker son ex : "J'ai des faux comptes Instagram, je suis devenue une pro des recherches dans les résultats Google, dans les sites d'écoles, jusqu'à aller dans les publications nécrologiques... Ça craint."
Elle avoue avoir essayé de se débarrasser de cette manie mais que l'envie est trop forte, même si elle assure que sa "cible" ne lui manque pas et que ce n'est pas qualifiable de tromperie. "C'est moins grave car il n'y a pas de contact réciproque et direct", affirme-t-elle. "C'est [plutôt] une manière de combler quelque chose".
Pour Anna, 28 ans, qui a pratiqué le stalking de son ex à fréquence régulière alors qu'elle est dans une relation depuis bientôt trois ans, le diagnostic est plus tranché : "Il te manque alors tu vas voir son profil. Après tu arrêtes parce que tu douilles. [...] Ce n'est peut-être pas de la tromperie mais clairement on est sur la bonne voie." Elle aussi évoque le besoin de combler une envie. Un terme révélateur qui traduirait un malaise dans le couple.
"Si une triangulaire s'installe, c'est qu'il y a la place pour", indique la Dre Bénet-Weiler. "C'est un deuil qui n'est pas fait, on est passé à autre chose trop vite. Quand on mène une vie pleine et équilibrée, on n'a pas besoin d'aller pister l'autre."
"Il ne s'agit pas d'une tromperie avérée car elle n'est pas charnelle" poursuit l'experte, "mais c'est une curiosité malsaine et dommageable pour la relation. Une infidélité affective de l'ordre de la trahison et qui témoigne d'un vrai manque d'amour pour soi-même".
Plutôt qu'un acte condamnable, ce comportement révélerait surtout une absence de confiance en soi si grande qu'elle peut nous faire reculer devant la prise de décisions importantes. Ou nous empêcher de nous sentir assez forte pour se résoudre au fait que notre relation actuelle ne suffit pas.
Ce qui est sûr, c'est qu'au-delà de blesser celui ou celle qui partage notre vie, le besoin viscéral d'aller traquer un ancien partenaire nous fait d'abord mal à nous. Il nous abîme car il nous rappelle des souvenirs doux et douloureux. Il nous renvoie à notre présent que l'on n'est plus sûre de supporter.
Si ce schéma trahit l'autre émotionnellement, c'est nous qu'il heurte à petit feu. Et c'est certainement la meilleure raison d'agir - en arrêtant d'espionner, ou en mettant fin à notre couple par exemple.