Des visages de femmes au regard distant ou distrait, un noir et blanc classieux, des jeux d'ombres mystérieux... Difficile de définir l'art insaisissable de la photographe Vivian Maier. Il faut dire que l'énigme plane sur la vie et la carrière de celle qui fut des années durant gouvernante d'enfants. Gouvernante aux Etats-Unis, et pas n'importe quelle Amérique, celle des années cinquante, qu'elle saisit l'air de rien avec sa sensibilité artistique.
Du 15 septembre 2021 au 16 janvier 2022, le Musée du Luxembourg à Paris dédie une exposition tout simplement historique à l'artiste new-yorkaise, décédée à Chicago en 2009, et que d'aucuns considèrent comme l'une des plus grandes photographes du 20e siècle. Se retrouvent exposées au gré des murs photos archivées, mais aussi films super 8 et enregistrements audios rarissimes.
Pour le Musée, les photographies vintage mais toujours vivaces de Vivian Maier témoignent d'un autre regard, notamment porté sur "ce tissu urbain qui reflète déjà les grandes mutations sociales et politiques de son histoire, le temps du rêve américain et de la modernité surexposée". Un tissu qu'elle met volontiers à nu.
Portrait d'une artiste découverte trop tard.
Vivian Maier est née à New York en 1926, d'un père d'origine austro-hongroise et d'une mère française. Elle a capturé par le prisme de son appareil photo les rues américaines quarante ans durant. De cette oeuvre, on retient notamment ses saisissants autoportraits. Mais ne pouvant vivre de son art, elle fut durant l'essentiel de sa vie - des années 50 aux années 90 - gouvernante pour enfants afin de subvenir à ses besoins, dans la Grosse Pomme puis à Chicago.
Situation précaire oblige, elle fut même dans l'incapacité de développer un grand nombre de ses négatifs. Elle réalisa également de nombreux films grâce à sa caméra super 8. Tel que l'indique le magazine de mode Numero, Vivian Maier est l'un des grands noms de ce que l'on appelle la "street photography", ou photographie de rue. Elle était fascinée par les "scènes de rue", le grand spectacle des instants les plus infimes et quotidiens : les mouvements et les poses des passants foulant l'asphalte urbaine du pied, entre deux bus et deux musées, l'atmosphère new-yorkaise.
Comme bien trop de femmes qui ont traversé l'Histoire de l'art, Vivian Maier n'a été redécouverte qu'après sa mort. Fin 2007, plusieurs oeuvres de Vivian Maier étaient mises aux enchères : alors hospitalisée, elle n'avait plus les moyens de les stocker dans un box. C'est l'agent immobilier John Maloof, qui préparait alors un livre dédié à Chicago, qui achètera ce trésor. S'il n'a finalement pas employé les 30 000 clichés et négatifs acquis lors de la vente, il s'est mis au défi de retrouver le nom de la photographe anonyme qui en était l'autrice.
Cette identité ne lui sera révélée que bien plus tard par un professeur d'art et, en 2009, le jeune homme apprendra la mort de cette photographe trop méconnue par le biais d'une banale rubrique nécrologique. Son entreprise est à l'origine de la redécouverte de Maier, notamment car Maloof a procédé à la numérisation de cette oeuvre méconnue.
Son succès, que l'enthousiasme critique autour de l'exposition du Musée du Luxembourg (la plus grande rétrospective française qui a pu lui être dédiée, constituée de 95 % de photos inédites) synthétise avec clarté, fut donc posthume. L'artiste avait déjà fait l'objet d'une rétrospective à Chicago en 2011. Deux ans plus tard, c'est du côté du Jeu de Paume que se retrouvaient ses précieux clichés.
Une redécouverte tardive, mais essentielle, qui en dit long sur l'invisibilisation des femmes artistes, notamment des photographes, ce dont témoigne l'ouvrage majeur Une histoire mondiale des femmes photographes.
Les photographies de Vivian Maier prennent la forme de jeux d'ombres et de lumière en noir et blanc, s'attardent sur des visages énigmatiques, des profils inconnus saisis dans leur immobilité, se focalisent sur de vagues et lointaines silhouettes anonymes, scrutent des miroirs dans lesquels le regard se noie. Exemple : la photographie "Chicago", datée de 1963, dévoilant en contre-plongée un visage par le biais d'un miroir posé au sol. Les perspectives sont renversées et le public, déconcerté.
De l'avis de bien des experts de l'art, contempler les oeuvres de l'Américaine revient à tenter de percer un secret, tout à fait insondable. Un exercice complexe relaté en 2015 dans le passionnant documentaire À la recherche de Vivian Maier des réalisateurs John Maloof et Charlie Siskel. Une photographe fascinante donc, mais également "absolument moderne", comme aurait pu l'énoncer Arthur Rimbaud (dans son poème Une saison en enfer).
"Vivian Maier était très cultivée. Née d'une mère française à New York en 1926, elle se trouve à la confluence de la photographie américaine et française. Et avec son oeil caméra, on peut aussi dire qu'elle est en amont des générations d'Instagram et des selfies. Elle a joué toute sa vie avec les images, avec une acuité à découvrir le monde, sans forcer le regard, comme le font les enfants", décrypte avec enthousiasme Anne Morin, directrice de l'exposition parisienne du Musée du Luxembourg, auprès de Madame Figaro.
A n'en pas douter, les quelques 120 000 images traversant cette exposition font office d'hommage exemplaire à cette grande dame de l'Histoire de la photographie.
Exposition Vivian Maier
Du 15 septembre 2021 au 16 janvier 2022
Musée du Luxembourg
19 rue Vaugirard, 75006 Paris
Tous les jours de 10h30 à 19h
nocturne les lundis jusqu'à 22h
Tarifs : 13€ ; tarif réduit 9€, Spécial Jeune 16-25 ans : 9€ pour 2 personnes du lundi au vendredi après 16h
Gratuit pour les moins de 16 ans, bénéficiaires des minima sociaux, illimité avec le pass Sésame Escales