Culture
5 bonnes raisons d'explorer la somptueuse "Histoire mondiale des femmes photographes"
Publié le 26 novembre 2020 à 18:48
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Livre-somme étourdissant de richesse, "Une histoire mondiale des femmes photographes" nous fait explorer des décennies de créations singulières, contemplatives, féministes, subversives. Une encyclopédie qui met à l'honneur celles qui ont fait et font cet art majeur.
Newsha Tavakolian, Portrait de Negin à Téhéran, 2010 Newsha Tavakolian, Portrait de Negin à Téhéran, 2010© Newsha Tavakolian / Magnum Photos
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Plus de 500 pages, 300 artistes, 450 photos... C'est un livre qui ressemble à une somme définitive. Supervisée par l'historienne de la photographie Luce Lebart et la conservatrice en cheffe - au Musée d'Orsay - Marie Robert, et rédigé par une large centaine de chercheuses, Une histoire mondiale des femmes photographes met à l'honneur les regards - et les voix - pluriels de toutes ces artistes qui ont contribué à façonner l'odyssée de la photographie aux quatre coins du globe.

Des femmes photographes au militantisme volontiers assumé, voire même politique par essence puisqu'elles osent, appareil en mains, saisir un monde qui ne leur offre aucun privilège, tout en investissant une sphère artistique qui ne les met pas en lumière. Qu'elles gravitent en Amérique du Nord ou en Europe, cette encyclopédie accorde à leurs subjectivités la place qu'elles méritent, à force de biographies et d'iconographies généreuses.

Un projet sororal, mais aussi passionné, qui ne cesse de rappeler ce qui anime la majorité des noms étudiés : un sentiment d'urgence, une nécessité de mettre en images une réalité sociale, les corps en mouvement et les émotions qui vont avec. Pour ne pas oublier et, surtout, inciter les objectifs qui suivront à poursuivre la danse.

Et si cela ne vous convainc toujours pas, voici cinq bonnes raisons de vous procurer cet indispensable.

Pour découvrir une histoire oubliée

"Dans le domaine de la photo, très peu de femmes ont accédé à la notoriété. Le panthéon des photographes est essentiellement masculin, de Félix Nadar à Richard Avedon en passant par Robert Capa, Robert Doisneau, Robert Frank et Henri Cartier-Bresson. À l'exception de quelques figures récurrentes, telles que Dorothea Lange, Germaine Krull, Diane Arbus ou Berenice Abbott, les femmes ont occupé peu de place dans les ouvrages thématiques comme dans les histoires générales de la photographie", nous prévient-on d'emblée en guise de mise en bouche.

Lotte Jacobi, "Lotte Lenya", actrice, Berlin, 1928. © University of New Hanpshire

D'où le besoin de rectifier fissa le tir face à "cette logique systématique d'invisibilisation, de disparition, d'effacement des mémoires" qui traverse l'épopée de la photo, pour reprendre les mots de la co-autrice Marie Robert. Plus qu'une page de l'Histoire de la photographie, cette encyclopédie est donc un livre d'histoire(s) à part entière, un tour d'horizon qui risque bien de squatter les rangs des bibliothèques universitaires.

La célébration d'un patrimoine ? Non, d'un matrimoine, polyphonique et en quête de réévaluation. Des portraits millénaires de Clementina Hawarden aux créations pionnières de Yevonde Middleton, chaque parcours et panorama exige notre plus nette attention.

Pour son icono qui claque

On l'aura deviné, les illustrations abondent dans cette encyclopédie. Tant et si bien qu'on ne voit qu'elles, à l'instar du physique de l'opus qui, véritable pavé, prend de la place et du poids. "La forme du livre était importante : on souhaitait proposer un beau et grand livre, un ouvrage qui ait du volume, avec une recherche d'équilibre certaine entre les voix et les images", nous explique la co-autrice de cette Histoire mondiale.

Un manque de discrétion en osmose avec ces clichés qui ne s'excusent pas d'exister. Au contraire, bien des photos semblent privilégier le choc et le fracas, impressions aussi perceptibles qu'un slogan décoché au sein d'une manif. C'est le cas du fantastique Rêves d'or de la performeuse indienne Pushpamala N., brandissant une arme dans notre direction comme pour flinguer notre perception biaisée de l'art - et de son grand récit. Saisissant.

Pour sa force politique

Que l'on s'attarde sur les images de conflits (comme "L'homme au cocktail Molotov" de la photojournaliste américaine Susan Meiselas) ou sur ces myriades de visages anonymes captés avec pudeur ("La famille Damm dans leur voiture" de Mary Ellen Mark par exemple, instantané de regards égarés en pleine Cité des Anges), c'est avant tout l'impact profondément politique de ces galeries qui saute aux yeux.

Carrie Mae Weems, Sans titre [Homme lisant le journal], série "La table de cuisine", 1990. © Carrie Mae Weems. Courtesy of the artist and Jack Shainman Gallery, New York

"Plus qu'un art, la photographie est un outil qui permet de prendre la parole et d'affirmer sa présence, de s'émanciper en quelque sorte. Dans beaucoup de profils d'artistes que nous avons sélectionné, on ressent cette nécessité de montrer les choses et, en les montrant, de changer le monde", atteste d'ailleurs Marie Robert.

Faire d'une captation du monde une revendication donc, et plus encore une révolution, oui, mais pas simplement pour les femmes : pour tous les invisibles de notre société, que ces artistes au fil des décennies s'évertuent volontiers à flasher. C'est-à-dire les classes prolétaires, prostituées, âmes solitaires, populations discriminées, femmes et hommes noirs... Les modèles de ces photographes ne sont jamais vraiment choisis au hasard.

Marie Robert nous raconte pourquoi : "Une attention est effectivement portée envers les minorités, les personnes racisées, les laissés-pour-compte, les personnes en situation de handicap... On perçoit une précocité concernant la prise en charge de ces questions par les femmes. On peut l'expliquer par une forme 'd'expérience partagée' : elles sont davantage amenées à considérer et repérer ces situations d'injustice et d'inégalités".

L'appareil photo est un trait d'union entre toutes ces voix minorées.

Natalia LL, "L'Art consommateur", 1972 © ZW Foundation / Natalia LL Archive
Pour casser les codes

Et malgré la diversité des points de vue, une intention réunit ces artistes : le désir de se réapproprier les codes traditionnels établis par les hommes, à l'instar du nu, cet exercice si sacralisé. Perçu par les femmes, il se fait tantôt subversif et intimiste, tantôt naturaliste et introspectif. On pense aux clichés de la Britannique Jo Spence, plaquant sur une poitrine nue l'inscription "Propriété de Jo Spence ?" (le point d'interrogation importe), mais aussi aux corps traversés de cicatrices des séries noir & blanc de la plasticienne française Sophie Ristelhueber.

"Une histoire mondiale des femmes photographes" © Editions Textuel

"Les femmes ont tant fait l'objet de représentations à travers les siècles, que l'on pense aux toiles des peintres ou aux clichés des photographes, que cette représentation du corps est forcément structurante et fondamentale. A travers leurs regards, la photographie est un moyen de déconstruire, reformuler, dévoiler d'autres manières de montrer le corps dans toute sa diversité mais aussi ses problématiques", théorise la conservatrice en cheffe. Une richesse à la fois graphique et critique.

Pour son éclat contemporain

Le plus beau avec ce panorama mondial, c'est que l'histoire qu'il nous raconte est comme une pellicule dont le développement serait encore in progress. Sur des plateformes sociales comme Instagram notamment, les (jeunes) femmes photographes déploient au quotidien la singularité de leur regard porté sur le monde.

Les luttes féministes se croisent dans leurs représentations sans filtre de la sexualité, de l'intimité féminine, des oppressions systémiques mais aussi des sens, autant de thématiques foisonnantes auquel cette Bible de l'art fait incessamment écho. On espère qu'un ouvrage sera un jour consacré à ces néo-révoltées de la photo.

Une histoire mondiale des femmes photographes par Luce Lebart et Marie Robert
Editions Textuel, 504 pages.

Mots clés
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