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"Je pensais que poser nue était féministe : j'avais tort"
Publié le 10 juillet 2020 à 11:23
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Camille, 22 ans, a été modèle de nu pendant deux ans. "Je trouvais ça féministe, et j'ai fini par arrêter car j'ai réalisé que ça ne l'était pas". Elle nous explique son cheminement.
Photo de nu/illustration Photo de nu/illustration© Adobe Stock
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C'était il y a deux ans. Camille Dodet avait 19 ans. A peine sortie de l'adolescence, cette jeune étudiante en science politique à Lyon se sentait mal. Des problèmes de santé, des troubles alimentaires, une hospitalisation. Elle est l'ombre d'elle-même. "J'avais beaucoup maigri alors que j'étais déjà mince de base". La jeune femme perd 15 kilos en l'espace de deux mois. Son corps lui devient étranger. "Je ne me reconnaissais plus", raconte-t-elle.

Comment se reconstruire après cette épreuve ? Comment réapprendre à s'aimer, à se réapproprier sa silhouette et recréer un lien plus doux avec son image ? "Dans les milieux féministes, il se disait que c'était une bonne idée de poser nue, comme une forme d'empowerment, comme un affront au patriarcat qui nous interdit de trop nous dénuder. A la base, je n'avais pas pour objectif de publier les photos, je voulais avant tout faire ça pour moi et mes proches."


L'idée fait son chemin. Elle se lance. Camille contacte "au culot" un photographe dont elle admirait le travail et les clichés "peu sexualisés". De fil en aiguille, le photographe lui propose "une collab". La première séance de pose se déroule bien : la jeune femme se sent à l'aise et rassurée. Mais aujourd'hui, avec le recul, Camille tique. "Je m'aperçois en fait qu'il y a eu des problèmes dès le début, même s'il a été très respectueux. Quand il m'a fait poser, il fallait que je me tienne bien droite, que je rentre le ventre (même s'il n'y avait pas grand-chose à rentrer à l'époque !), il fallait mettre en valeur mes seins..."

Cependant, du haut de ses 19 ans, la toute jeune femme se prend au jeu. Elle enchaîne les collaborations ("Quasi systématiquement du nu"), se trouve belle dans le regard de ces hommes qui la "shootent". Et poste ses photos dénudées sur son compte Instagram qui ne tarde pas à devenir populaire. Elle veut déranger, bousculer et voit dans ces clichés une forme d'émancipation et de rébellion. Mais ses posts qui récoltent tant de petits coeurs sur les réseaux sociaux commencent à lui laisser un goût amer.

Rapidement, la voilà confrontée aux commentaires visqueux, aux dick pics quotidiennes, aux insultes ("Sale pute", "Rhabille-toi"), "des gens voulaient contacter mes parents pour dénoncer ce que je faisais, sachant que mes parents sont au courant de A à Z et n'ont jamais cherché à me faire arrêter."

Mais pas que. Dans ses messages privés se glissent des propositions scabreuses. Camille le savait, elle s'y était préparée : "Quand on est modèle, il faut faire une grosse sélection pour choisir un photographe, car il y a énormément de pervers. Il y a des modèles qui se font toucher ou même violer, plein d'histoires super glauques... Il fallait que je fasse très gaffe." On lui propose même de se prostituer ou de faire "un duo érotique". "J'avais demandé : 'Avec qui ?" et le photographe répondait : 'Avec moi et on mettra le retardateur'".

A cela s'ajoutent les petites remarques insidieuses des hommes- pourtant triés sur le volet- pour lesquels elle prend la pose. Des photographes "bienveillants" en apparence qui distillent le malaise derrière leur objectif. "J'ai reçu des propositions d'artistes populaires. Je n'ai jamais rien subi de 'grave', on ne m'a jamais touchée ou insultée, mais c'était des petites remarques : 'Toi au moins, tu as le corps pour poser, mais d'autres veulent le faire alors qu'elles sont vieilles'. Sachant que pour eux, 'vieilles', c'est à partir de 30 ans !", tempête Camille. "On me disait aussi : 'Fais des photos de nu maintenant comme ça, quand tu seras vieille, tu te rappelleras que tu étais belle avant', des remarques sur mes 'beaux seins' venant de la part d'un mec de 60 ans... ".

Camille encaisse, tente de leur trouver des excuses ("Ils étaient plus vieux", "Ce n'était pas de la drague, plus du paternalisme"). Mais craque.

L'accumulation de ces regards biaisés, de ces mots sexistes et grossophobes, de ces insultes virtuelles commence à peser lourd et à la blesser. Elle qui voulait fracasser les codes et se défaire du patriarcat s'en retrouve prisonnière. Objectifiée, "soumise" au regard des hommes dit-elle.

"J'avais l'impression qu'on me dépossédait de mon corps. Loin de l'émancipation à laquelle j'aspirais. OK, je dérangeais et je bousculais quelque chose, c'est ce qui me poussait à continuer, mais d'un autre côté, je voyais bien tous ces mecs dégoûtants", soupire la jeune femme.

Ses séances de pose commencent peu à peu à la lasser. Toujours les mêmes postures, toujours ces mêmes projets "artistiques" qui la contraignent à adopter les codes contre lesquels elle s'insurgeait. La voilà en position de complice du sexisme qu'elle combattait. "Ils me demandaient de rentrer le ventre, de me cambrer, de montrer mes fesses. Typiquement le genre de choses qui me révoltaient pourtant sur les pubs."

Sans compter les retouches photo qui gomment son identité. "Mes poils sous les bras les dérangeaient par exemple, ils voulaient les retoucher en post prod. Bref, je montrais une fausse image de mon corps. Si mon travail complexe les femmes, c'est qu'il y a un problème", tranche-t-elle.

Camille a donc décidé de tourner la page. Si elle ne renie pas son expérience de deux ans, elle veut aujourd'hui renverser les idées reçues : "Poser nue, ça peut être féministe, mais pas de la manière dont je le faisais, pas dans un cadre patriarcal de A à Z. Je pense qu'il faut mettre en avant des corps qui ne soient pas dans les normes, des corps gros ou non valides, montrer qu'ils existent. Ou même tout simplement montrer la cellulite, les vergetures, les seins qui pendent. Le nu féministe, ce serait celui qui reflète le vrai corps de la femme et qui s'affranchirait des diktats."

Pas de colère, juste un coup d'oeil dans le rétro après sa progressive déconstruction. Et un regret : ne pas avoir posé pour des photographes femmes. Elle n'en a pas eu l'occasion. "Je pense que le regard féminin peut tout changer. Un mec ne nous dirigera jamais de la même façon."

Son expérience passée lui permet aussi d'appeler à la vigilance. Aujourd'hui, Camille met en garde les jeunes femmes biberonnées aux réseaux sociaux et fascinées par les créatures virtuelles comme Emily Ratajkowski ou Kylie Jenner. "Je suis bien sûr pour que les femmes fassent ce qu'elles veulent. Tant que c'est notre choix, ça ne me pose pas de problème. Mais encourager les filles à se dénuder en leur disant que c'est de l'émancipation féminine et de la liberté sexuelle, pour moi, c'est problématique. Des filles mineures, c'est déjà limite, mais en-dessous de 15 ans, on a encore moins le recul nécessaire pour se rendre compte de l'impact que ces photos peuvent avoir sur leur vie future."

Car si la modèle nue est versatile et a (fort heureusement) le droit de changer d'avis comme l'a fait Camille, Internet, de son côté, a une mémoire longue, parfois indélébile. Et dans une société encore très portée sur le slut-shaming, ces traces du passé peuvent resurgir et meurtrir. Mieux vaut donc s'en prémunir. Les conseils de Camille pour se protéger ? "Si elles veulent tester, qu'elles ne postent rien sur internet tant qu'elles ne sont pas majeures. Et éviter de poster sa tête, qu'on ne puisse pas les reconnaître."

Aujourd'hui, Camille va mieux : elle continue à prendre de jolies photos, "mais je les garde pour moi". Elle dit s'écouter plus, aime se pomponner. "Je célèbre mon corps, mais vraiment à ma façon". Son incursion dans le nu lui a appris à se recentrer et à se poser une question essentielle : "Quand je poste quelque chose sur Insta, je me demande : 'Est-ce que je le fait pour moi ?'. Cela ne me fait moins de likes, mais on se sent mieux avec soi-même ", sourit-elle.

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