L'histoire a été suivie par des milliers d'internautes, en France, mais aussi à l'étranger. Le 24 juillet, Marie Laguerre, 22 ans, se fait agresser à Paris par un homme qui commence à la suivre dans la rue, puis à la harceler. Excédée, la jeune femme lui assène un "ta gueule" tout en pressant le pas pour le semer. La réaction du harceleur s'avère extrêmement violente : à ces mots, il la frappe en plein visage, après lui avoir jeté un cendrier à la tête. La scène, qui s'est déroulée près de la terrasse d'un bar du 19e arrondissement de la capitale, a été filmée par la caméra de surveillance de l'établissement.
Après l'agression, un serveur propose à Marie de récupérer la vidéo. La jeune femme accepte et la visionne, choquée par la violence des images, bien qu'elle ait vécu l'agression. Elle décide alors de diffuser la vidéo sur les réseaux sociaux pour dénoncer le harcèlement de rue auquel 3 millions de Françaises sont confrontées au cours de leur vie.
La vidéo (voir ci-dessous) devient très vite virale et suscite un engouement médiatique auquel Marie ne s'attendait pas. "Je m'intéresse depuis longtemps à la condition de la femme, au sexisme, aux inégalités de genre. J'en parle beaucoup avec mes amis, et je réfléchis beaucoup à ces sujets. Alors quand on m'a demandé une interview, j'ai répondu. Ça a commencé comme ça. Je ne pouvais pas prévoir que ça prendrait une telle ampleur. Mais quand je raconte mon histoire, il est impossible de ne pas préciser que ce genre d'action est intolérable et que je ne suis pas la seule concernée. Voilà pourquoi j'ai continué à répondre aux autres demandes", nous explique-t-elle.
Submergée par l'ampleur du buzz médiatique, mais bien décidée à faire bouger les choses, Marie Laguerre prend contact avec des associations féministes, notamment Les Effronté·es avec qui elle lance Noustoutesharcelement.com, une plateforme qui recueille les témoignages anonymes des victimes de harcèlement de rue et d'agressions sexuelles.
"Je me suis rapidement entourée de personnes compétentes en la matière, sinon je n'arrivais pas à gérer. Ce n'est pas facile de se retrouver surmédiatisée en 24h. Cette association m'a beaucoup aidée. Pour l'instant, nous sommes encore dans la phase d'organisation. Mais nous avons déjà reçu près de 1000 témoignages sur la plateforme que nous avons lancée", précise-t-elle.
Son combat ne s'arrête pas là : le 4 août, Marie Laguerre lance une pétition sur Change.Org intitulée "Harcèlement, violences faites aux femmes : Ça suffit !", dans laquelle elle s'adresse directement à la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa. "Lutter contre le harcèlement sexuel, aussi bien dans l'espace public que privé, ou professionnel, c'est bien. Mais avec quels moyens ?", interroge Marie Laguerre, qui fait référence au projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles.
Adoptée définitivement par le Parlement le 1er août dernier, la loi proposée par Marlène Schiappa prévoit de verbaliser les "outrages sexistes" commis sur la voie publique, à raison d'une amende pouvant aller de 90 euros à 750 euros (3000 euros en cas de récidive). "Une mesure symbolique qui ne réglera pas le fond du problème", estime Marie Laguerre. "Ça envoie un message, mais je pense que ça va être très dur à mettre en place. Je crois aussi que cela ne va pas régler la question de ceux qui ne comprennent pas pourquoi il ne faut pas se comporter de telle manière quand on s'adresse à une femme", développe-t-elle.
Pour Marie Laguerre, la solution se trouve dans l'éducation. "Le sexisme dans lequel on vit quotidiennement doit être éradiqué. Mais je pense qu'il faut proposer une analyse plus poussée que se contenter de mettre une amende à un homme parce qu'il a sifflé une femme dans la rue. Pour moi, cette lutte passe davantage par l'éducation que par la punition. Ça commence dans les écoles", estime la jeune femme.
Elle suggère notamment une campagne pour sensibiliser les adultes au sexisme et aux violences faites aux femmes, dans le même esprit que celles que l'on voit pour la sécurité routière ou l'écologie. "C'est un travail de fond, mais dans 20 ans on commencera à voir les résultats, et on les verra encore plus dans 50 ans."
Dans sa pétition, Marie Laguerre somme également le gouvernement de mettre en place des formations à destination des professionnel·le·s pour une meilleure prise en charge des victimes de harcèlement et d'agressions sexuelles.
"Les chiffres communiqués par le Groupe F en avril montrent qu'il y a un vrai problème dans la manière dont on reçoit les victimes de viol ou de harcèlement : on leur rit au nez, on ne les croit pas... Je pense que c'est très important de former la police, les infirmièr·es, les médecin·es, les enseignant·es, les juges, les magistrat·es. Tout·e·s les professionnel·le·s concerné·es par la prise en charge des victimes."
Après son agression, le premier réflexe de Marie Laguerre a été de porter plainte contre son bourreau. Si la jeune femme estime avoir reçu un bon accueil, "j'ai eu de la chance", elle est cependant loin d'être dupe.
"Après la diffusion de ma vidéo et la médiatisation qui a suivi, l'enquête s'est accélérée. On n'a toujours pas retrouvé mon agresseur, mais la police m'a affirmé qu'elle était à sa recherche. Je ne suis pas certaine que ma plainte aurait été revue en détails ou que l'enquête serait allée aussi loin si je n'avais pas bénéficié de cette visibilité".
La jeune femme, qui vient tout juste de décrocher son diplôme d'ingénieure civile et qui s'apprête à prolonger sa formation en école d'architecture en septembre prochain, compte poursuivre ses actions même si elle se sent parfois dépassée par la violence et l'absurdité de certains propos.
"Quand ma vidéo est sortie, j'ai reçu beaucoup de soutien. Mais aujourd'hui, je suis confrontée à des commentaires sur les réseaux sociaux, même si je sais que je ne devrais pas les regarder. Certains sont par exemple allés jusqu'à dire que j'avais participé à un coup monté par Marlène Schiappa. Moi qui ne sais même pas si je suis de droite ou de gauche ! En dehors de mon engagement et de mon combat pour les droits des femmes, je me qualifierais plutôt d'apolitique."
"Je préfère aborder cette problématique sous un angle pédagogique, essayer de tirer les gens vers le haut et d'élever le débat. C'est peut-être un peu idéaliste, mais j'ai confiance en la capacité des gens à comprendre et à se responsabiliser, et donc à changer d'attitude."