Porter plainte après un viol ou une agression sexuelle est loin d'être une démarche facile, y compris en France. L'enquête choc dévoilée ce mardi 3 avril par l'association féministe Groupe F (groupe d'action fondé par Caroline De Haas qui lutte contre les violences sexistes et sexuelles) et le tumblr "Paye ta police" le prouve. Symbolisée sur Twitter par le hashtag #PayeTaPlainte, l'enquête réunit plus de 500 témoignages de personnes ayant subi des violences sexuelles. Des femmes principalement, mais aussi des hommes.
Ces personnes ont eu le courage de porter plainte après leur agression. Mais elles sont loin d'avoir trouvé le soutien qu'elles espéraient. "Vous n'êtes pas aguichante, alors je ne comprends pas qu'il ait fait ça sur vous", a par exemple répondu une policière à une femme qui s'est rendue au commissariat en 2016 après avoir subi une agression sexuelle.
Il n'a pas fallu plus de 10 jours à Groupe F et "Paye ta police" pour recueillir ces centaines de témoignages. L'enquête mentionne une mauvaise prise en charge des victimes dans 91% des cas : refus de prendre la plainte, culpabilisation de la victime, remise en cause de la gravité des faits, solidarité avec l'agresseur.
Les (nombreux) récits font froid dans le dos. "Je suis allée porter plainte pour harcèlement. Plainte refusée par les gendarmes. J'ai donc écrit au procureur qui a enregistré ma plainte. Vient ensuite des mois plus tard ma convocation à la gendarmerie. Je m'y rends, raconte mon histoire au gendarme, et il me dit : 'vous êtes sûre de vouloir porter plainte ? Vous n'avez pas peur des représailles ?", raconte une victime. "J'ai été harcelée sexuellement sous le regard d'agent de la SNCF dans le RER. Le commissariat a refusé la plainte", dénonce une autre.
Si le refus de la plainte apparaît comme l'élément le plus relaté par les victimes (60%), la remise en cause ou la solidarité avec l'agresseur sont malheureusement légion, comme le montrent plusieurs témoignages. "J'ai été violée à 14 ans. Quand j'ai voulu porter plainte, un policier a dit 'comme si elle ne l'avait pas cherché", explique une victime.
"À une amie, que son compagnon avait attachée avant de la pénétrer devant un groupe d'hommes, le policier a rétorqué qu'elle avait une vision 'un peu farfelue' du viol. 'Un viol, c'est pas ça. Un viol c'est un inconnu dans un parking avec un couteau, lui a-t-il soutenu', témoigne la proche d'une victime.
"Ces dysfonctionnements découragent les victimes d'aller porter plainte et envoient un message d'impunité aux agresseurs", déplorent les auteurs de l'enquête. Or, ces pratiques sont strictement illégales. "Dès lors qu'une victime fait connaître sa volonté de déposer plainte, les officiers ou agents de police judiciaire doivent donc toujours enregistrer sa plainte par procès-verbal", rappellent les circulaires relatives à la loi du 15 juin 2000, qui visent à renforçer la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.
D'après une enquête de l'Institut national d'études démographiques (INED) dévoilée en 2016, 62 000 femmes déclarent avoir été victimes de viol ou de tentative de viol dans l'année. Plus de neuf victimes sur dix ne portent pas plainte, selon des chiffres de l'Insee et de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP). Ce chiffre s'étend à 580 000 lorsqu'on tient compte des agressions sexuelles.
Selon des chiffres du ministère de la justice, entre 5 000 et 7 000 condamnations pour violences sexuelles sont prononcées chaque année. Pourtant, comme le rappelle le journal Le Monde, le nombre de plaintes déposées en gendarmerie en 2014 s'est révélé bien plus élevé : plus de 30 000 au cours de l'année passée.