Un regard lubrique, une main aux fesses ou des propos obscènes : une femme sur trois l'a déjà vécu au cours de sa carrière professionnelle.
C'est ce que met en lumière un sondage de l'institut Ifop réalisé pour le site VieHealthy.com et dévoilé par Franceinfo mardi 27 février. Début février déjà, le Défenseur des Droits avait dévoilé des chiffres glaçants sur l'étendue du fléau que constitue le harcèlement sexuel au travail. D'après lui, 20% des femmes actives seraient concernées.
Le sondage d'Ifop va encore plus loin puisqu'il révèle que 32% des femmes françaises ont déjà été victimes de harcèlement sexuel ou d'agression sexuelle sur leur lieu de travail. Une précédente enquête de l'Ifop réalisée en 2014 montre que ces violences sont en forte hausse (+12 points). Peut-on y voir une conséquence de la libération de la parole des femmes et de l'affaire Weinstein ? Il est sans doute trop tôt pour l'affirmer.
D'après les résultats du sondage, le harcèlement sexuel au travail revêt diverses formes, pas toutes identifiées par les femmes qui ont sont victimes comme un comportement déplacé. Sur le lieu de travail comme dans les espaces publics, les formes verbales ou visuelles de harcèlement sont les atteintes les plus répandues, en premier lieu desquelles les sifflements ou les gestes grossiers (19% en ont été victimes à plusieurs reprises) et les remarques déplacées sur la silhouette ou la tenue : 14% des femmes affirment en avoir fait l'objet de manière répétée.
Les violences sexistes et sexuelles que subissent les femmes sur leur lieu de travail sont aussi physiques : 24% se sont déjà vues imposer des contacts légers comme un effleurement de la main, des cheveux, du visage ou des jambes (11% de manière répétée). 13% ont quant à elles subi des contacts sur une zone génitale ou érogène comme par exemple une main sur les fesses, une étreinte ou un baiser forcé. Pour 4% des répondantes, ce type d'agression s'est même produit plus d'une fois.
Les pressions psychologiques sont aussi communes : 15% des femmes interrogées ont déjà été dans des lieux ou à des horaires pouvant les mettre dans une situation compromettante, 10% se sont vues offrir des cadeaux comme du parfum ou des sous-vêtements malgré leur absence de consentement. Enfin, "seules" 8% des femmes ayant déjà subi au moins une fois des pressions afin d'obtenir de leur part un acte de nature sexuelle (ex : un rapport sexuel en échange d'une embauche ou d'une promotion...).
L'autre constat émis par l'étude Ifop est que toutes les femmes ne sont pas exposées au même risque de harcèlement. Ainsi, les célibataires (35%), parce qu'elles "apparaissent comme plus vulnérables ou plus ouvertes à des propositions de nature sexuelles", sont davantage harcelées que les femmes en couple (31%). Les femmes seules sont ainsi particulièrement sujettes à des contacts physiques légers (27% contre 22% des femmes en couple) ou à des remarques gênantes sur leur physique (30 % contre 26%).
Les citadines (35%) sont aussi davantage confrontées au harcèlement sexuel sur leur lieu de travail – notamment en agglomération parisienne (38%) - que les femmes vivant dans les communes rurales (26%).
Le secteur d'activité tout comme la catégorie socioprofessionnelle jouent aussi sur les risques d'être victime de harcèlement sexuel au travail. Les femmes titulaires de la fonction publique sont globalement moins exposées (27%) aux risques de harcèlement que les salariées ayant des contrats de droit privé, que ce soit d'ailleurs dans le secteur public (31%) ou privé (30%). les cadres et professions intellectuelles supérieures sont quasiment deux fois plus nombreuses (40%) que les ouvrières (23%) à avoir déjà été harcelées ou agressées sexuellement sur leur lieu de travail.
Autre idée reçue sur le profil des victimes démontée par le sondage Ifop : celle selon laquelle les femmes hétérosexuelles seraient en première ligne. En réalité, ce sont les bis et les lesbiennes qui sont la cible de remarques sexistes et de violences sexuelles : 60% ont déjà été harcelées sur leur lieu de travail contre 34% des hétérosexuelles. "Contrairement à certains préjugés selon lesquels les bis et lesbiennes subiraient moins de harcèlement du fait de leur 'invisibilité', cette enquête confirme donc l'idée selon laquelle elles souffriraient d'une double discrimination portant à la fois sur leur genre et leur sexualité", notent les auteurs du sondage. Ces derniers relèvent aussi que les femmes affichant un IMC inférieur à la normale sont beaucoup plus nombreuses à avoir été harcelées ou agressées sexuellement sur leur lieu de travail (43% en moyenne) que les femmes en situation d'obésité (27%). L'écart est particulièrement net pour ce qui est des formes physiques de harcèlement comme les mains aux fesses : 31% des femmes "maigres" en ont déjà été victimes, contre 8 % des femmes "obèses".
Les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc ont beau être passés par là, cela n'empêche que les Françaises interrogées ont parfois du mal à identifier comme telle une situation de harcèlement sexuel : seules 22% partagent cette impression (dont à peine 4% à plusieurs reprises), soit une proportion qui n'a pas progressé de manière significative en quatre ans (20% en janvier 2014). "L'écart entre cet indicateur subjectif (où l'on demande aux femmes si elles ont déjà subi une situation de harcèlement présentée comme telle) et le premier indicateur calculant objectivement la proportion de victimes de différentes situations (sans leur préciser qu'il s'agit de harcèlement) est le signe d'une méconnaissance de ce qui relève juridiquement ou non du harcèlement sexuel", note l'Ifop.
Enfin, l'institut de sondage dresse le portrait-robot des harceleurs qui tord le cou aux idées reçues. Alors que l'on pourrait aisément croire que ce sont les supérieurs hiérarchiques qui, abusant de leur position d'autorité, se permettent des paroles et des comportements répréhensibles, ce sont en fait les collègues, clients ou fournisseurs qui grossissent les rangs des harceleurs sexuels au travail.