Alors qu'on le pensait passé de mode, le jean taille basse refait surface sur les réseaux sociaux et va jusqu'à squatter tous les débats. Sur TikTok et Instagram notamment, ou les tags #slimmyjeans et #lowrisejeans génèrent des centaines de milliers de publications abondamment visionnées et likées.
Pour rappel, ce pantalon faisant la part belle au nombril était aussi tendance qu'un téléphone à clapet à la fin des années 90 et au début des années 2000. A l'époque, ô douce nostalgie, où Britney Spears et Paris Hilton régnaient encore sur le monde. Vestige pop... et destiné à le rester ? On est en droit de se poser la question, à l'heure où les multiples publications que le vêtement suscite n'ont d'égales que les critiques qu'il inspire.
Notamment du côté de la génération Z (les personnes nées entre 1997 et 2010), qui voit en cette tenue pour top modèles et vedettes d'Hollywood, plus qu'un style gentiment désuet, un message potentiellement blessant voire dangereux pour la jeunesse. Absurde ? Pas tant que ça.
C'est l'influenceur Collin McCarthy qui nous l'explique le temps d'une vidéo TikTok virale auréolée du mot-clé "féminisme". "Avec un jean slimmy, vous ne montriez pas ce que vous portiez, vous montriez votre ventre. Et si vous portiez quelque chose au-dessus d'une taille deux, alors vous étiez directement considérée comme 'gros' ou 'grosse'. Les millennials [les personnes nées entre 1984 et 1996, ndlr] ont grandit avec cette idée quand ils étaient enfants et adolescents, et il leur a fallut beaucoup de temps pour s'en émanciper".
En somme, les jeans taille basse auraient été synonymes de bien des complexes et injonctions – à la féminité notamment - à l'heure où les stories Instagram n'existaient pas encore. Tant et si bien que ces vêtements paraissent hors de propos dans une époque à ce point sensibilisée aux valeurs du mouvement body positive, cette lutte pour une visibilité et une acceptation plus inclusive des corps – de toute couleur, formes, tailles.
Ce qui va à l'encontre de ce fétiche culte des années 2000, comme le rappelle la new-yorkaise Emma McClendon, historienne de la mode, autrice mais aussi spécialiste de l'évolution des jeans, au Guardian : "Les jeans taille basse comme ceux des défilés Dior Homme étaient importants pour leur coupe, mais aussi pour les corps, de mannequins notamment, qui les arborait : des corps incroyablement maigres, qu'ils soient féminins ou masculins". Le risque étant que ce sacro-saint "slimmy", puisque tendance, devienne une norme sur laquelle se calquer.
Un risque réveillé de nos jours, alors que la parole s'est largement libérée sur bien des sujets. Par exemple ? La grossophobie, et les discriminations, propos et violences qu'elle implique, au coeur de bien des mobilisations digitales. Le rapport aux normes de la mode également, règles bousculées par les mannequins elles-mêmes – comme Charli Howard, Cara Delevingne et Ashley Graham, jamais à court de discours engagés.
Ou encore, le trouble de la dysmorphie corporelle, dont souffrent bien des jeunes femmes – la chanteuse Billie Eilish, notamment, a avoué en faire l'objet - à savoir, une préoccupation disproportionnée vouée à des défauts physiques redoutés et/ou fantasmés. Un trouble lui aussi mis en lumière au sein de la scène de la mode, par la très populaire mannequin body positive Irene Drezi par exemple.
C'est dire si désormais, les fringues étroites et légères façon The Simple Life ou soirée de gala en compagnie de Katie Holmes et Keira Knightley semblent dépassées. Voire carrément synonymes de mauvais goût.
A cette réappropriation des tendances fashion par l'activisme digital, toujours salutaire dans sa critique des diktats physiques, s'ajoute encore une nouvelle réflexion, d'autant plus "dans l'air du temps". Elle est limpide : a-t-on vraiment besoin des jeans taille basse en pleine pandémie ? Alors que des dizaines de milliers de publications Instagram semblent nous répondre par l'affirmative, un autre son de cloche retentit d'une enquête à l'autre.
Ainsi, l'espace d'un bilan annuel, le Guardian arécemment annoncé la mort imminente de ce jean faussement déringardisé. Selon le journal, le confinement a plutôt donné le la aux joggings, leggings et jeans larges. En somme, le vêtement de la pandémie ressemble plus à un baggy (de ceux qu'arbore Billie Eilish, on y revient) ou à un bas de pyjama qu'à la garde-robe d'une popstar ou mannequin du début des années 2000.
"L'idée de plaquer un jean 'skinny' contre mon ventre me rend malade", témoigne ainsi au média Niamh Egleston, une étudiante britannique de 25 ans, qui voit en cet accoutrement "une relique des temps anciens". L'étudiante lui préfèrerait les jupes flottantes. Le contexte de pandémie et l'expérience des confinements aurait induit une forme de "nouvelle normalité" non sans incidences sur nos pratiques vestimentaires.
Dans le monde d'après, faudra-t-il repenser la "mode d'après" ?
Une question que suggère volontiers le média Your Tango, qui dédie une enquête au phénomène et nous offre par la même occasion un heureux adage : "Les jeans en eux-mêmes ne sont pas intrinsèquement mauvais, tant que nous ne recyclons pas l'image corporelle qui les accompagnait dans le passé".
La messe est dite. Et alors que certains magazines comme Vogue s'interrogent sur les nouvelles formes que pourrait prendre ce vêtement revenu des morts, d'autres s'inquiètent de ce qu'il incarne. A savoir, une potentielle régression au sein d'une sphère fashion qui a bien longtemps invisibilisé les personnes grosses.
Un retour en arrière tout sauf souhaitable à l'heure où se profilent des avancées timides mais notables - comme le choix plutôt réjouissant de l'iconique mannequin et activiste Barbara Butch en tant que nouvelle égérie de Jean Paul Gaultier. Et si l'on célébrait ce présent-là plutôt que de ressortir le passé des placards ?