Qu'est ce qu'une diva ? Le Larousse accorde bien des visages à cet intitulé : tantôt "cantatrice célèbre par son talent, sa réputation" tantôt "vedette féminine du cinéma" ou bien encore "personne éminente dans son domaine, célébrité". Une définition neutre comme il faut. Et pourtant, presse people et autres tabloïds ont pris pour habitude d'attribuer à ce mot des connotations pas très funky. Est diva la star aux excès critiques, exubérante si ce n'est insensée, qui se croit centre du vaste monde au sein duquel elle gravite.
Récemment encore, la chanteuse Ariana Grande en personne fustigeait cette appellation. "J'ai arrêté de faire des interviews pendant longtemps, car j'avais l'impression que dès que je me retrouvais dans une position où quelqu'un transformait mes mots et que je me défendais, les gens disaient : 'Oh c'est une diva'. Et ça n'a aucun sens", déplorait la star au micro d'Apple Music. A l'écouter, "diva" est un "standard sexiste".
Un constat qui n'est pas inconnu à la journaliste musicale Sarah Dahan. "Le terme 'Diva' signifie Divine en latin. Mais il a été transformé et usité péjorativement pour désigner une star féminine capricieuse", explique l'autrice dans son dernier livre, le bien-nommé Divas : les plus grandes icônes de la pop. Ce petit manuel coloré, blindé d'illustrations et d'humour, est, plus qu'un répertoire ludique, une ode décomplexée à ces femmes artistes tour à tour célébrées, huées, insultées, couronnées.
Elles s'appellent Britney Spears, Madonna, Rihanna, Amy Winehouse, Donna Summer, Tina Turner, Taylor Swift et ont toutes droit de cité dans cette déclaration d'amour déployant pas moins de 35 portraits de vedettes. Des focus détaillés au ton aussi léger qu'érudit, et qui tendent à redonner au mot Diva ses lettres de noblesse. Enfin ! Il faut dire que complimenter le style de Céline Dion ou la voix de Kate Bush ne fait jamais de mal.
Mais d'ailleurs, pourquoi aime-t-on autant ces déités pop ? C'est simple.
Le point commun entre Diana Ross, Madonna et Cher ? Leur ambition. Les voix les plus salées diront : leur mégalomanie. Les divas ont bien conscience des critiques qu'elles cristallisent et en profitent volontiers pour tout envoyer valdinguer à grands coups de clips provocs, performances too much sur scène et autres propos disproportionnés. En témoigne cette punchline de Cher, lorsque sa mère lui a recommandé d'épouser un homme riche : "Maman, je suis un homme riche !". Vu le succès de hits comme "Believe", on ne saurait lui donner tort.
Stars et électrons libres d'une industrie du spectacle qui les célèbre autant qu'elle les brise, les divas aiment à se dire bigger than life. Ou bigger than men. C'est ce pied de nez à tout un système patriarcal qui réjouit tant. Et n'est pas sans incidences. D'un côté, on reproche à une Lady Gaga sa volonté de déployer un univers qui n'appartient qu'à elle – notre monde ne lui suffit pas. De l'autre, on sacre certaines voix passées à la postérité – c'est le cas lorsque Barack Obama dédie de glorieux éloges à Aretha Franklin ("Elle a aidé à définir ce qu'est l'Amérique").
Les divas semblent toujours trop grandes pour l'époque qui les voit naître et évoluer. Cette ambition, elles s'en jouent non sans jubilation. Pour exemple, cette phrase malicieuse de Kate Bush épinglée par Sarah Dahan : "Je suis la mégalomane la plus timide que vous puissiez rencontrer". Ou encore, ces mots de Céline Dion, notre Céline, qui, entre deux shows gigantesques et climax lyriques, balance dans le plus grand des calmes : "Je ne suis pas une superstar, je suis Céline". La messe est dite.
Et si les divas étaient l'allégorie la plus pop de notre adolescence ? C'est là l'une des savoureuses suggestions de la journaliste. Que leurs noms soient Adele, Kylie Minogue, Whitney Houston, Katy Perry ou encore Stevie Nicks, ces célébrités ont su accompagner notre âge ingrat, précisément car elles le synthétisent à travers leur art et leur personnage : sentimentalisme exacerbé, émotions fortes, mélancolie tenace, énergie dévastatrice, constituent leurs formes d'expression riches et paradoxales. Mais pas que.
Ces stars ont également su nous initier à une obsession typique de cette période : la et les sexualités. Quitte à faire grincer les dents des parents. Sensualité, représentation du corps, expression du plaisir... La confusion des sentiments n'est pas leur unique thématique. Il suffit de se remémorer les clips de Madonna, les refrains sulfureux de Donna Summer (Love to Love You Baby) ou les poses équivoques de Britney (qui, dixit la journaliste, "vend du sexe mais n'en fait pas").
A chaque génération sa dose de musicalité fiévreuse. Et ce ne sont pas les fans de Cardi B, Nicki Minaj et Megan Thee Stallion qui nous contrediront.
Même plus de trois décennies après son âge d'or, Madonna demeure l'emblème ultime de ces transgressions qui parlent tant aux jeunes audiences. Et surtout, contribuent à les éveiller pour les années à venir.
Sarah Dahan décrypte : "Madonna est l'instigatrice d'une révolution culturelle qui a changé pour toujours l'image et la place de la femme dans notre société. Dans des chansons comme Justify My Love, elle explique que l'on peut célébrer les plaisirs du sexe et de l'amour de manière décomplexée, dans une logique sex positive. Tout ce qui constitue la pop culture d'aujourd'hui a été traité par Madonna : le sex positivisme, la question des représentations sexuelles et raciales, la question du pouvoir décisionnel des femmes...".
De ses albums de photographies scandaleux à ses vidéos en passant par ses hits, Madonna a pour de bon démontré, à travers un imaginaire aussi pop que polémique, la force politique du sexe. Avec une audace qui n'appartient qu'aux divas, ces actrices d'une forme de subversion étrangement mainstream.
Ecriture sulfureuse, oui, mais pas seulement. Si l'art des divas semble nous accompagner bien au-delà des posters plaqués dans notre chambre d'ado, c'est avant tout parce que leurs chansons sont aussi entêtantes qu'inspirantes. Puisqu'elles n'hésitent pas à coucher sur le papier leurs déboires amoureux, failles inavouables et autres crises existentielles, les divas transforment le récit impudique de leur intime en hymnes universels. Une faculté qui rapproche leurs productions diverses de la poésie.
Parmi ces autrices de talent, on pourrait citer Barbra Streisand, Lana Del Rey et Taylor Swift. Cette dernière est un cas d'école. Non contente de glisser de la country à la folk après une longue odyssée pop, ou de balancer deux albums en à peine plus d'un an, la chanteuse a tendance à relater au micro non seulement son vécu, mais aussi ce qu'en disent les médias. Il suffit d'écouter ses tubes Blank Space ou Shake It Off.
Dans ce dernier, elle chante : "I stay out too late, got notin in my brain / That's what people say / I go on too many dates, but i can't make 'em stay / At least that's what people say". Comme elle le fera dans bien des albums, Taylor Swift collecte le négatif (commentaires paternalistes sur ses exs, ses albums et son image, slut shaming, sexisme ordinaire) et s'en sert pour bâtir une oeuvre aussi fédératrice que cathartique.
Surtout, elle épingle une forme de violence dont sont victimes les divas, comme ces remarques incessantes sur leur apparence, leur mode de vie et leurs relations amoureuses. C'est aussi pour cela qu'on aime tant s'appesantir sur ses textes, témoignant d'une quête d'indépendance pas toujours évidente dans l'industrie.
Iconoclaste : Se dit d'un individu "ennemi de toute tradition, qui cherche à faire disparaître tout ce qui est le passé" (Larousse toujours). Ce mot-là occupe tout un chapitre de l'opus qui nous intéresse. Est-ce à dire que les divas sont forcément novatrices et révolutionnaires ? Que leur discographie, malgré l'enthousiasme qu'elle suscite, demeure quelque peu incomprise car trop décalée ? Ce n'est pas impossible.
Pour Sarah Dahan en tout cas, nombreuses sont ces stars "frondeuses, qui n'ont pas peur d'affirmer leurs identités changeantes et inclassables, et ne s'en excusent pas !". Et parmi elles, des extraterrestres comme Lady Gaga, Miley Cyrus ou encore Grace Jones. Des artistes tour à tour autrices, interprètes, comédiennes, productrices... Et qui fascinent autant qu'elle perturbent le regard. Ce dont témoignent les portraits de Grace Jones imaginés par le photographe et directeur artistique Jean-Paul Goude, immortalisant la chanteuse en "créature androgyne à la fois sexy et inquiétante".
Capables de créations lisses (en apparence) comme d'expérimentations musicales plus radicales, les divas n'ont de comptes ou d'explications à rendre à personne. Et on se plaît à décrypter leur monde. Celui de Kate Bush par exemple, poétesse aux textes énigmatiques et aux clips mythiques, dont le fameux "Wuthering Heights" fait carrément l'objet d'un festival dédié. En somme, d'un véritable culte. Normal, pour une divinité.
Il y a chez ces stars une faculté à chambouler les consciences, à faire dévier les lignes. Car si elles n'étaient pas si insaisissables, seraient-elles vraiment divas ? Cette exigence implicite est bien résumée par Lana Del Rey, qui l'énonce : "Je pense que l'intellectualisme peut être un moteur bien plus puissant que l'idée de la femme fatale". De quoi faire déchanter celles et ceux qui ne sont obnubilés que par la surface des pochettes.
Divas : les plus grandes icônes de la pop, par Sarah Dahan
Editions Huginn & Muninn, 225 p.