Sans en être tout à fait l’inventeur, Marc Brétillot a fait naître une discipline à mi-chemin entre l’art et la technique, l’artisanat et l’industrie, conjonction curieuse de ses deux passions : le design et la cuisine. Prof à l’ESAD de Reims (École supérieure d’Art et de Design), il a initié les premiers cours de design culinaire en 1999. « Le terme est apparu à ce moment-là, mais la pratique est ancienne », explique-t-il, « ce sont les industriels qui, les premiers, se sont offert ce type d’expertise. » Pas facile de définir ce métier tant le mot « design » est aujourd’hui galvaudé par le marketing. « Il faut revenir à l’origine industrielle du design », note Marc Brétillot, c’est-à-dire la recherche de formes et de solutions nouvelles pour les objets. Appliqué à la cuisine, il s’agit de « réfléchir au monde de l’alimentation avec l’outil conceptuel du dessin. On pose la question de la globalité de l’acte de manger. » Vaste programme quand on considère que cette activité est la seule qui convoque les cinq sens. Pour cette fine bouche il est impossible de dissocier un repas de son cadre, de l’entourage, de la lumière ou du contenant, « tout cet environnement modifie notre perception du produit », explique-t-il.
Quand on crée des nuages comestibles qui mettent la nourriture en suspension, comme « Whaf », sa célèbre innovation, quand on crée une table d’hôte inspirée d’un conte d’Alphonse Daudet, quand on mécanise un banquet sur des chariots roulants équipés de poules « picoreuses » de déchets, est-on plus cuisinier ou designer ? Diplômé de l’École Boulle et fondu de cuisine depuis l’enfance, Marc Brétillot ne peut pas choisir, mais il ne travaille plus sans l’expertise d’un cuisinier, tout comme le designer plastique ne se prive pas des compétences du plasticien. « C’est une discipline à la croisée des chemins, l’intérêt réside dans l’expertise de tous. Le designer se distingue par la phase analytique, il réfléchit sur tout pour avoir une approche à 360 degrés : le nom du plat, l’environnement, la façon de manger,… » Chaise, lustre ou dégustation : le design est affaire de « questionnement et de résolution des problèmes ». Il faut aussi adapter sa réponse à l’utilisateur, au mangeur…
Pour un salon ou un cocktail d’entreprise, il travaille sur une retranscription alimentaire du thème, de l’apparence à la texture, sans oublier la mise en situation. Pour l’industrie agroalimentaire, il réfléchit à des concepts, dessine les produits de demain. Pour l’art contemporain, il se creuse dans l’espoir de déstabiliser et interroger le mangeur, le provoquer pour le séduire.
Ce bon vivant accro au saucisson de Lyon et au bon pain défend l’idée d‘une cuisine franche voire franchouillarde. Il dénonce « l’éjaculation trop fréquente de vinaigre balsamique sur l’assiette blanche », un trait de pinceau qui selon lui n’apporte rien, ni information ni plaisir. Indigné aussi de constater qu’on ne voit plus une tête de veau ou de cochon sur les tables des grands restaurants, « on ne les voit même plus sur les étals du boucher, parce que cela met les gens face à leurs contradictions ». Voilà ce qu’il appelle « l’hypocrisie alimentaire », qui prive la table de son potentiel « émotionnel » et « dramaturgique ». À ces nouveaux tabous, il veut opposer « l’honnêteté » et la « cohérence », qui donnent du sens à la cuisine.
La saucisse incarnerait ainsi l’archétype parfait du design culinaire : « C’est un objet génial, mobile donc adapté à notre société nomade, répondant à des problématiques de conservation, et déclinable à l’infini ». À charge du designer talentueux d’ajouter l’esthétique à l’efficacité.
Crédit photo : Marc Brétillot
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