C'est un film choc qu'a décidé de sacrer l'Académie des Oscars dans la nuit du 10 mars 2024 : "20 jours à Marioupol". Un geste artistique mais aussi politique : l'Oscar du meilleur documentaire revient à cette heure trente d'immersion au sein de la guerre en Ukraine, assurée par le réalisateur Mstyslav Chernov, également couronné par le prix Pulitzer - excusez du peu.
20 jours à Marioupol nous plonge au coeur de ce conflit d'une manière exceptionnelle, et il faut le rattraper sans plus attendre, gratuitement en streaming sur le site de francetv. "Merci d'avoir fait ce film avec moi. Merci de m'avoir aidé dans ce voyage. C'est le premier Oscar de l'histoire ukrainienne. Et j'en suis honoré", s'est réjoui avec dignité le metteur en scène ukrainien lors de la cérémonie, auprès d'une assistance silencieuse.
"Je suis honoré, mais je serai probablement le premier réalisateur sur cette scène à dire : 'J'aurais aimé ne jamais faire ce film'. J'aimerais pouvoir échanger cela avec une Russie qui n'aurait jamais attaqué l'Ukraine, qui n'aurait jamais occupé nos villes", a poursuivi le journaliste.
Mais pourquoi voir à tout prix ce docu ?
Mis en scène il y a deux ans tout juste, ce documentaire nous colle au plus près de reporters internationaux s'exercant à saisir en urgence une situation cataclysmique. Dès lors, les images insoutenables ne manquent pas - celles de blessés, et parmi eux beaucoup d'enfants. Ce contexte chaotique se doit d'être mis en images : c'est une nécessité citoyenne, et politique, notamment pour rétorquer à la propagande russe, qui bat son plein.
Sacré Meilleur documentaire au sein de la prestigieuse cérémonie des BAFTA (British Academy Television Awards), les Emmy Awards britanniques, 20 jours à Marioupol nous rappelle la responsabilité des journalistes, soucieux de laisser une trace et de s'assurer de ce qui restera dans les manuels d'histoire. C'est un véritable devoir de mémoire qui traverse ce film où le narrateur témoigne volontiers de sa propre peur de la mort.
Lorsqu'il filme ses concitoyens ukrainiens, aux maisons dévastées, aux familles massacrées, le réalisateur hésite d'ailleurs à baisser sa caméra. Il rétorque au désarroi de ses interlocuteurs, et exprime son impuissance. Un sentiment international. On retiendra notamment cette séquence ou, dans un sous-sol où s'amasse les rescapés, une mère de famille lui explique, en larmes, qu'elle aimerait retourner au travail le lundi matin suivant, et retrouver une vie bouleversée il y a quelques heures à peine.
Mais c'est également, par-delà le témoignage, un récit universel sur la guerre. Mstyslav Chernov y affirme, tout à fait glaçant : "Une guerre ne commence pas par des bombardements. Mais par du silence. La guerre est comme une radio : elle permet de voir ce qui se trouve à l'intérieur des hommes".
Aux Oscars ce 10 mars, lors de son discours poignant, le journaliste a conclu : "Je souhaite que la Russie soit dénoncée pour avoir tué des dizaines de milliers de mes compatriotes ukrainiens. Je souhaite qu'ils libèrent tous les otages, tous les soldats qui protègent leurs terres, tous les civils qui sont maintenant dans leurs prisons. Mais je ne peux pas changer l'histoire, je ne peux pas changer le passé"