C'est la nouvelle qui fait débat en Afrique du Sud. Dans son projet de réviser les lois matrimoniales, le ministère des Affaires intérieures local a publié début mai son livre vert sur le mariage. Au sein de ce document de 76 pages, est notamment abordée l'idée d'autoriser la polyandrie, le droit pour les femmes de prendre plusieurs maris. Une proposition qui a rapidement créé la polémique auprès des fervents opposants à l'égalité femmes-hommes (la polygamie, elle, est en revanche parfaitement acceptée).
"Vous imaginez, à la naissance des enfants, il faudra faire des tests ADN pour savoir qui est le père", s'est d'abord indigné le leader du parti musulman Al Jama-ah, Ganief Hendricks, qui, à en lire le décryptage du Sunday Times repéré par Courrier International, a mis le feu aux poudres.
Chez le leader du Parti chrétien démocrate africain, Kenneth Meshoe, la réaction est tout aussi virulente, l'homme politique s'inquiétant particulièrement de l'organisation de la vie sexuelle de ces ménages, et des violences domestiques qui en découlerait. "Si une femme est partagée par trois hommes et qu'ils la veulent tous la même nuit, qu'est-ce qu'il va se passer ? Ça peut mener à une confrontation. Les hommes sont jaloux !", a-t-il lancé sur la chaîne eNCA, balayant par la même occasion toute notion de consentement féminin.
Pourtant, d'après plusieurs expert·e·s, ce tournant sociétal pourrait s'avérer très bénéfique.
Dans un long papier pour le Daily Maverick, les chercheuses Liz Mills et Amanda Gouws décortiquent ainsi ce que permettrait la polyandrie. Statut qui, elles le précisent, est déjà pratiqué dans certaines parties du Cameroun, du Kenya et du Nigéria, où il y a plus d'hommes que de femmes.
"Comme il n'y a pas d'autorité unique (masculine) dans les ménages polyandres, le pouvoir est dispersé au sein de l'union", constatent-elles. "Les biens sont généralement détenus collectivement, ce qui signifie que personne n'est exclu de la propriété, même après le décès de l'un des maris. Ces unions sont également plus prospères sur le plan économique car les femmes ne sont pas économiquement dépendantes d'un seul homme."
Ciblant les craintes filiales de Ganief Hendricks, partagées par beaucoup d'autres Sud-Africains, les deux scientifiques poursuivent : "La paternité ne se situe pas dans l'identité du père de l'enfant, mais dans le fait de savoir que n'importe lequel des hommes peut être le père ; par conséquent, la paternité est une question sociale et collective et les hommes s'engagent davantage à participer à l'éducation des enfants. Les enfants et les biens appartiennent aux familles et non aux individus. En ce qui concerne les femmes, cela leur donne plus de pouvoir (capacité de décision) et de contrôle sur leur sexualité et leur corps."
Autant d'arguments qui ne semblent malheureusement pas convaincre la majorité de la population (le docteur Aaron Motsoaled, ministère des Affaires intérieures, s'en est d'ailleurs dit "profondément déçu"). Et Liz Mills et Amanda Gouws nomment le responsable de cette bruyante réticence : le patriarcat.
"Nous soutenons que la polyandrie est profondément menaçante car elle pose un défi qui frappe au coeur du patriarcat", analysent-elles. "Dans la plupart des relations hétérosexuelles, un homme jouit d'un monopole sur la sexualité de sa femme, sur son travail domestique et ses soins, ainsi que sur ses biens, et peut revendiquer un droit sur les enfants nés de cette union. Un père peut donc savoir avec une grande certitude qui sont ses enfants."
Alors que la polyandrie - que les chercheuses ne considèrent pas comme l'inverse de la polygamie mais comme une alternative plus égalitaire - elle, "diminue la domination masculine et le contrôle de la sexualité des femmes, qui font partie intégrante du patriarcat." A sérieusement étudier, donc.
Et l'avis des femmes dans tout cela ? C'est justement leur absence dans le débat public à ce sujet que déplore une tribune publiée dans le Sunday Star. "Compte tenu de la proportion de papas mauvais payeurs, de pères absents, il pourrait peut-être y avoir un certain mérite à légaliser la polyandrie. Peut-être que les femmes veulent plus d'un homme ; un pour faire le jardin, un pour cuisiner, un autre pour faire le lit, au propre comme au figuré. Nous ne le saurons jamais, car personne n'a daigné le leur demander. Au lieu de ça, ce sont les polygames qui semblent faire le plus de bruit".