L'exode des Rohingyas a plongé des centaines de milliers de personnes dans l'horreur. D'après les derniers chiffres de la coordination internationale sur place, 600 000 personnes originaires de cette minorité musulmane installée en Birmanie ont fui le conflit ethnique qui a éclaté fin août entre l'armée birmane bouddhiste et la résistance armée Rohingya. Victime de répression militaire, ils ont marché par centaines de milliers vers le Bangladesh où les camps de réfugiés débordent.
De retour d'une mission humanitaire pour Médecins du Monde, à Bazar Cox district, un morceau de terre frontalier avec la Birmanie, la docteure Géraldine Brun alerte sur cette crise humanitaire et sanitaire sans précédent. "Jusqu'à août, il y avait sur cette zone deux camps relativement bien structurés autour desquels les nouveaux venus se sont greffés au fur et à mesure des arrivées. Ces camps étaient espacés de quelques kilomètres. Aujourd'hui, ils ne forment plus qu'un seul camp", explique-t-elle dans un entretien accordé à La Marseillaise . "Sur une heure de voiture, cela ne s'arrête pas". Une étendue de tentes s'enfonce dans la forêt, où les derniers venus sont obligés de s'installer, éloignés des services de base, parfois dormant à même le sol boueux des bois.
Géraldine Brun détaille toute l'horreur de ces camps rudimentaires où les conditions d'hygiène sont précaires, notamment pour les femmes. Comme les sanitaires sont mixtes, "elles n'osent pas y aller et s'y rendent la nuit ou vont en forêt, ce qui augmente les risques d'agression. Il y a aussi le problème lié aux menstruations. Elles n'ont pas de quoi se changer, se laver et peuvent passer le temps des règles enfermées sous la tente".
Les femmes et les enfants représentent "82% des 800 000 réfugiés installés au Bangladesh. Six enfants sur 10 sont mineurs et 30% d'entre eux ont moins de 5 ans. "Il y a le problème des enfants seuls, qu'il faut repérer, pour lesquels il faut rechercher la famille... Un dossier auquel s'attelle l'Unicef qui en a identifié 6000".
Une campagne de vaccination contre la rougeole, la rubéole et la polio a été mise en place en septembre. Environ 150 000 enfants ont été pris en charge. L'état de ces réfugiés est sérieux, rappelle Géraldine Brun : "Ils sont arrivés dans un état de malnutrition et d'épuisement majeur, après avoir marché 10 ou 15 jours avec peu ou pas à manger et quasiment rien à boire. Sans oublier le stress, les traumatismes". Une cellule psychologique a été mise en place pour les femmes : "C'est là que nous avons eu des témoignages sur des viols".
Le témoignage de la médecin illustre l'immense détresse dans laquelle se trouvent aujourd'hui
les Rohingyas. Persécutés depuis plusieurs générations, considérés comme apatrides, donc privés de droits civiques, leur situation s'est dégradée lorsque des militants ont attaqué des postes de gardes-frontières et fait neuf morts en août. Les forces gouvernementales ont riposté avec violence, pillant des villages et des troupeaux de bêtes, massacrant des centaines de personnes, violant des dizaines de femmes et menaçant la communauté toute entière.
Si la population du Bangladesh s'est montrée accueillante, parfois même en prêtant des parcelles de terre, "les tensions commencent à monter", explique Géraldine Brun. "Parce que les prix ont flambé comme à chaque fois en temps de crise et parce que le temps des récoltes va bientôt arriver, que les propriétaires qui ont laissé les réfugiés s'installer vont avoir besoin de récupérer leur terre". Puisqu'il n'a pas signé les Conventions de Genève, le Bangladesh ne bénéficie pas de l'aide du Haut Commissariat aux Réfugiés. Et pour l'heure, conclut la médecin, la communauté internationale et le conseil de sécurité des Nations Unies "sont plutôt silencieux".