Culture
Sandrine Kiberlain : « "Elle l'adore", un film sur la normalité des gens connus et la non-banalité des gens banals »
Publié le 24 septembre 2014 à 14:43
Par Ariane Hermelin | Journaliste Terrafemina
A l’occasion de la sortie de « Elle l’adore », « Terrafemina » a rencontré Sandrine Kiberlain et Laurent Lafitte, qui incarnent respectivement une fan et un chanteur populaire dans ce premier film de Jeanne Herry. Ils nous expliquent ce qui leur a tant plu dans cette histoire loin d'être anodine et pourtant si humaine.
Sandrine Kiberlain : « "Elle l'adore", un film sur la normalité des gens connus et la non-banalité des gens banals » Sandrine Kiberlain : « "Elle l'adore", un film sur la normalité des gens connus et la non-banalité des gens banals »© Jacques Brinon/AP/SIPA
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Mardi 16 septembre. Sandrine Kiberlain et Laurent Lafitte enchaînent interviews et photos dans la suite d’un hôtel parisien pour la promotion d’Elle l’adore, qui sort ce mercredi en salles. Décontractés et très complices, les deux acteurs sont visiblement heureux de parler de ce film qui, en abordant la relation entre un chanteur et l’une de ses fans sous un angle neuf, met tout le monde, stars et public, au même niveau. En les écoutant défendre avec conviction celui-ci, on sent bien leur fierté de s’être mis au service de cette histoire, qui, à partir d’une situation extraordinaire, cherche à révéler la part ordinaire en chacun de nous : fan, chanteur, ou policier.... Entretien.


Qu’est-ce-qui vous a accroché d’emblée dans le scénario de Elle l’adore ?

Sandrine Kiberlain : Son caractère insolite, la manière dont était dépeint le rapport « fan et chanteur populaire ». La relation entre Muriel et Vincent Lacroix, c’est quelque chose que j’imaginais facilement, pour avoir côtoyé des artistes jouissant de la même popularité ou notoriété. Je les ai vus avec des groupies qui n’étaient pas hystériques, qui ne vivaient pas forcément dans une solitude abyssale. Ce sont des femmes aux vies pleines : elles ont des maris, des enfants, mais aussi une pièce à elles, consacrée au chanteur aimé depuis tant d’années. Et cela, on ne l’avait guère vu au cinéma avant…


Elle l'adore

Comment définiriez-vous le regard que porte Jeanne Herry sur ce sujet ?

S.K. : Juste, pertinent parce qu’elle a su mettre l’accent sur ce respect mutuel qui lie la star et son admiratrice. Pour Muriel, Vincent Lacroix est comme un compagnon de route, ses chansons l’accompagnent depuis toujours. On découvre ce chanteur et on croit en lui à travers le regard qu’elle lui porte, via ce qu’elle a gardé et ce qu’elle retient de son vécu d’artiste : les pochettes d’albums, les articles sur les prix qu’il a raflés ou les tickets de concert… On ne le voit jamais chanter dans le film. Pourtant, cela ne nous manque pas, cela n’empêche pas le spectateur d’y croire. C’est très original comme approche.

Laurent Lafitte : Ce chanteur, il a beau être riche et célèbre, il mène une vie normale, il a une copine un peu fatiguante, il se prend la tête avec elle, il donne le bain à sa fille... Il vit comme Monsieur Tout-le-monde au fond.

S.K. : C’est un film sur la normalité des gens connus et la non-banalité des gens banals.

L.L. : Ce qui me plaît, c’est ce rapport de dépendance qui bascule au cours du film. Il a de plus en plus besoin d’elle alors qu’au départ, c’est le contraire. Ce que j’aime, c’est la façon dont ce renversement s’opère dans le scénario.

Elle l'adore

Si Muriel aime bien inventer des histoires, elle va se retrouver d’un coup embarquée dans une aventure qu’elle n’aurait pas imaginée elle-même. Elle l’adore est-il aussi un film sur notre besoin d’imaginaire ?

S.K. : Nous éprouvons tous le besoin de nous raconter des histoires. Muriel est une spécialiste en la matière, elle en évente tout autour d’elle, mais Vincent Lacroix aussi. Faire des chansons, c’est aussi écrire des histoires pour les gens.

L.L. : On a tous une imagination qui fonctionne. Certains transforment cela en créativité et deviennent des artistes, d’autres sont nourris par ces mêmes artistes et font ainsi grandir leur imagination. Le chanteur et son public se retrouvent là-dessus, sur le fantasme, le rêve... C’est ce en quoi ils sont semblables, ce qui les met à égalité. Dans le film, Muriel est très accrochée à tout ce que Vincent fait et lui devient, au fur et à mesure, très accroché à tout ce qu’elle sait ! Et là, leurs rapports vont s’inverser.

S.K. : Là, on comprend à quel point l’artiste dépend de son public, à quel point il ne veut pas le décevoir. A s’en rendre malade même… Son succès dépend de gens comme Muriel.

L.L. : Plus Vincent se rend compte que son plan ne s’est pas passé comme prévu, plus il est obligé de devenir manipulateur. Tel un mensonge dont il ne pourrait plus se sortir. Et il aggrave de plus en plus son cas...

Elle l'adore

Le film alterne entre plusieurs genres – comédie, film policier, etc. – sans en privilégier l’un plus que l’autre. Est-il, pour autant, inclassable ?

S.K. : Oui, et c’est sa vertu. Il nous trimballe d’un genre cinématographique à l’autre, au gré des rebondissements. Jeanne Herry parvient à happer le spectateur, ce dernier ne cessant de se demander, à l’instar des personnages : « Mais comment ils vont s’en sortir ? ». J’étais dans le même état de fébrilité, rien qu’en lisant le scénario. Ce suspense fonctionne d’autant mieux que le spectateur en sait parfois un peu plus que les personnages. Et puis, on n’a jamais vu au cinéma des flics comme ceux de Elle l’adore, eux-mêmes pris complètement dans leur propre histoire, parallèle à l’intrigue policière. En fait, Jeanne Herry montre des gens vivants ! Chanteurs et policiers sont avant tout des êtres humains. Et de même pour Muriel, qui n’est pas qu’une fan. En cela, c’est aussi une oeuvre sur l’amour.

Le fait de jouer dans Elle l'adore a-t-il changé votre regard sur les fans ?

L.L. : Pas vraiment, car la manière dont Muriel est décrite s’inscrit dans la normalité. Elle n’est pas une psychopathe. Il ne se passe rien d’extraordinaire dans sa vie, c’est l’extraordinaire qui va venir à elle. On ne découvre pas une fan particulière dans Elle l’adore, c’est la force du film.

S.K. : Ce que j’ai retenu de mon expérience dans la peau de Muriel, c’est que l’on peut, par abnégation, faire des choses dingues pour quelqu’un. Voilà la question que je me suis posée en interprétant ce rôle : « Comment peut-on faire quelque chose de si risqué pour un autre ? ». Le fait qu’elle soit fan et qu’il soit chanteur n’est presque qu’un prétexte. L’idée est surtout de montrer un personnage prêt, par amour, à faire des choses totalement démesurées. Cela aurait aussi pu être un père avec sa fille ou tout autre personnage. Jeanne Herry a choisi un chanteur et une fan, un duo jubilatoire car il évoque tout un univers. Au fond, le film demande : « Jusqu’où peut-on aller par amour pour quelqu’un ? » Un peu comme ces gens qui disent « Je serais prêt à cacher un cadavre pour untel ou untel », preuve de leur amour inconditionnel…

L.L. : Pourtant au départ, dans le film, ça commence par un simple service. Vincent demande juste à Muriel de conduire une voiture de l’autre côté de la frontière…




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