"Sois fort, et arrête de faire ta fillette !", "Mais qu'est-ce que t'as aujourd'hui t'as des règles ou quoi ?". Que vous soyez un homme ou une femme, il y a fort à parier que vous ayez déjà entendu ces phrases. On vous a même peut-être déjà balancé l'une des deux en pleine figure.
La première, bien évidemment, s'adresse aux hommes, jugés "un peu trop sensibles". Un mec qui pleure ? Pas très viril, nous apprend-t-on depuis l'enfance. En effet, combien de papas ont réprimandé leur petit garçon parce qu'il chouinait un peu trop ?
Alors forcément, quand un garçon pleure, il prend le risque de s'exposer aux railleries et il n'est pas rare qu'il ressente de la honte en se laissant aller à ses émotions. Un sondage réalisé en 2012 sur 400 hommes français en 2012 pour le site Roxy Palace révélait en effet que 81% ne pleuraient jamais en public, ou alors seulement pour des occasions très spéciales comme la naissance d'un enfant (76%) ou d'une victoire de son équipe sportive favorite (54%).
Autrement dit, un homme peut pleurer, mais à condition que ce soit des larmes de joie. La gent masculine n'a donc a priori pas le droit d'étaler sa souffrance sur la place publique.
Pour les femmes, c'est l'exact opposé. Intéressons-nous maintenant à la seconde phrase : "Mais qu'est-ce que t'as aujourd'hui, t'as tes règles ou quoi ?" Ah, la fameuse question des règles... Combien de fois l'avez-vous entendue depuis que vous êtes en âge de les avoir ? Personnellement, je ne compte même plus, et pourtant, je n'ai pas encore 30 ans.
Derrière cette pique- qui suggère qu'une femme en plein cycle menstruel se transforme en une monstrueuse créature à fleur de peau totalement infréquentable- se cache un message encore plus choquant : celui qu'une femme n'a pas le droit de s'énerver, au risque de passer pour une folle furieuse hystérique.
"On jette ce moment physiologique à la figure des femmes, comme si elles devaient en avoir honte. C'est une insulte. Et pourtant, ce moment est constitutif de la nature féminine", analyse la sociologue Aurélia Mardon pour La Libre.be.
La remarque "arrête de faire ta fillette" proférée à l'encontre des hommes est d'ailleurs plutôt édifiante : employé dans ce contexte, le mot "fillette" résonne à nos oreilles comme synonyme de "faible". Faible, donc incapable de s'énerver, juste bonne à pleurer. CQFD !
En mai 2017, la dessinatrice Emma, auteure de la BD phénoménale Fallait demander, consacrait un chapitre entier sur cette question dans son ouvrage Un autre regard. "Les femmes et les filles n'ont pas les mêmes droits que les hommes de s'énerver et d'exprimer leur colère", remarquait-elle.
Comme souvent, les stéréotypes de genre proviennent de notre éducation. Emma explique : "Un petit garçon qui s'énerve va être décrit comme plein d'énergie. Une petite fille en revanche doit être calme et tempérée". Mais si ces croyances sont si fortement ancrées, c'est aussi en partie parce que la science les valide. Du moins en ce qui concerne la prétendue incapacité des garçons à pleurer.
Plusieurs études ont en effet démontré que les testostérones (hormones secrétées par les testicules) réduit l'envie de pleurer. Une situation éprouvante se traduirait donc pour eux par un accès de colère ou un mutisme, plutôt que par des larmes.
Pourtant, les hommes qui pleurent, ça existe. Il y en a même de plus en plus, souligne le site Top Santé. De la même manière que les femmes expriment leur colère et ce, bien évidemment, qu'elles aient leurs règles ou non. Sortons donc de cette distinction inacceptable de "sexe fort" et de "sexe faible". Nos émotions sont déjà suffisamment difficiles à contrôler, sans en plus avoir à se référencer à notre sexe pour apprendre à les gérer.
Les enfants ne se posent pas cette question : si un petit garçon souffre, il pleure. Si une petite fille est en colère, elle crie. Et vice-versa. Messieurs, rangez donc votre testostérone au placard et osez pleurer. Quant à nous, si quelque chose nous énerve, n'hésitons pas à nous exprimer haut et fort. Et si on vous demande encore si vous avez vos règles, vous pouvez toujours répondre : "Oui, j'ai mes règles ! Et alors ?".