"Beaucoup parlent du 'monde d'après' : une nouvelle solidarité au sein des couples peut en faire partie", affirmait il y a peu Marlène Schiappa. Une heureuse hypothèse. Malheureusement, si l'on en croit les résultats de la recherche d'Anne Brunner pour l'Observatoire des inégalités, développée depuis 2003, un écart se creuse d'année en année entre les sexes. Notamment à travers les tâches ménagères. Et pas des moindres : 80 % des femmes feraient la cuisine ou le ménage au moins une heure chaque jour, contre 36 % des hommes, selon les données 2016 de l'Institut européen pour l'égalité entre les hommes et les femmes (EIGE).
François Kraus, directeur du pôle "Genre, sexualités et santé sexuelle" de l'Ifop (l'Institut français d'opinion publique.) le déplorait déjà : "La diffusion d'un idéal de plus en plus égalitaire en matière de tâches ménagères peine à s'installer dans la pratique [des foyers français]". Et c'est ce que démontrent hélas les données de l'Observatoire des inégalités : cela fait plus de dix ans que l'évolution du partage des tâches est au point mort.
Inutile de ressortir l'adage vieux comme le monde du "not all men" : cette étude ne se préoccupe pas de ceux qui "donnerait un coup de main" une fois par semaine ou le week-end histoire d'être gentleman, non : il est question la réalisation des tâches domestiques au quotidien, chaque jour. Et c'est là que le bât blesse.
Parmi tous ces tâches du quotidien, on compte donc le ménage (en 2010, les femmes consacraient 1 h 26 de plus par jour aux tâches domestiques que les hommes), mais également la cuisine. Or, la préparation des repas est majoritairement assurée par la gent féminine. Ces inégalités viennent donc alourdir la charge mentale déjà considérable des femmes. Marlène Schiappa l'exprimait d'ailleurs dernièrement dans les pages du Point : "Quand vous passez d'un repas par jour à trois à la maison, plus les goûters, cela fait autant de menus à penser, de préparations, de vaisselle, de tables à mettre, de courses... Cela prend un temps fou !".
Et tout cela ne se limite pas à l'attention accordée aux enfants. Les soins apportés aux personnes âgées entrent également en compte. Selon l'étude, 46 % des femmes consacrent au moins une heure chaque jour "à un proche dépendant", et notamment aux personnes seniors... contre 29 % des hommes. La preuve s'il en est que le domaine du "care" est toujours "féminisé". C'est d'ailleurs ce qu'en déduit Anne Brunner : "Pour la prise en charge des aînés, tout se passe comme si la société considérait que les femmes (le plus souvent des épouses et des filles) étaient naturellement désignées pour assumer ce rôle, comme elles l'ont fait pour les enfants".
La part des femmes qui s'occupent des seniors aurait carrément augmenté de onze points entre 2007 et 2016. Contre cinq pour les hommes... "Les tendances démographiques actuelles en Europe font que le pourcentage de femmes s'occupant de personnes âgées va sans aucun doute augmenter dans le futur", prédit même l'EIGE. Difficile de mieux démontrer la perpétuation des assignations de genre.
Derrière ces données de couples s'immisce enfin une triste prédiction : les conclusions naturelles que pourraient en tirer les enfants, bien sûr. Notamment le risque de "genrer" spontanément des activités qui ne doivent pas l'être. "Les enfants apprennent auprès de leurs parents des rôles différenciés qu'ils auront tendance à reproduire une fois adultes. C'est ainsi que les inégalités se perpétuent", décrypte à ce titre la chercheuse. C'est dire si les enjeux majeurs au coeur de la lutte féministe ne concernent pas simplement le "monde des adultes", mais toutes les générations.