"Salope, salope retourne-toi, retourne-toi ouais / Salope, salope retourne-toi, ne te retourne pas, non". C'est un morceau qui sonne comme un cri de colère. Avec Salope, l'artiste hybride Tessae délivre un rap furax pour tacler les harceleurs de rue. Un manifeste qui fait sensation puisque son clip atteint les 400 000 vues sur YouTube. Il figure au coeur du nouvel EP de la chanteuse, joliment nommé Été, soit la suite de son punchy Printemps.
Cet album le démontre, le monde de la rappeuse marseillaise est déjà bien établi. A seulement 19 ans, Tessae streame autant le rappeur Rilès que la popstar Billie Eilish et propose une musique aux tonalités multiples où s'enlacent affirmation de soi et spleen post-ado, répliques qui tuent en mode egotrip et sororité. Un style percutant pour celle qui, en 2019, montait sur scène aux côtés de Booba - après avoir repris sa chanson Arc en ciel. Rien que ça oui.
Incarnés par sa jeune interprète ovniesque arborant un makeup à la Grimes, les morceaux de Tessae parlent de la condition féminine, entre complexes physiques, préjugés sexistes et violences diverses. Mais aussi d'indépendance, de force et d'émancipation. Un état d'esprit très générationnel.
L'équation parfaite pour un dialogue en mode Girl Power donc.
Tessae : J'associe les saisons aux émotions. En printemps-été, je suis plus joyeuse et solaire, mais en automne-hiver, c'est une période dark pour moi, avec beaucoup d'introspections. J'avais envie de consacrer des projets à toutes ces humeurs. D'un EP à l'autre, on retrouvera les mêmes thématiques et le même style, mais c'est au niveau des ambiances que ca va changer.
Même si dans Eté il y a quand même ce côté mélancolique, le but reste de traiter de sujets pas forcément joyeux mais de le faire avec de l'espoir. Et au fur et à mesure des sons, je sens que je m'affirme de plus en plus. Sans forcément renier ma dimension "décalée" ou "bizarre".
Tessae : En fait, quand j'étais plus jeune, je me pensais bizarre. J'essayais de suivre les modes mais je n'y arrivais pas. J'étais un peu garçon manqué dans ma classe et je me moquais de ne pas être dans les normes, je me fichais de m'habiller comme toutes les autres filles. Du coup, j'étais la meuf cheloue du lycée. Et aussi très rêveuse.
Et pour les autres, c'était ça, être bizarre : ne pas porter tel truc à la mode ou adopter telle attitude. La bizarrerie, c'est aussi se demander : qu'est ce qui fait que je ne me sens pas à ma place ? Que je me sens si différente au juste ? L'accepter, c'est tout simplement vivre par soi-même.
Tessae : Totalement. Pour moi, la musique est aussi un moyen de faire passer un message à la personne qui m'écoute. De changer des mentalités, ou tout du moins d'essayer. D'aider les personnes aussi, en mettant en lumière des sujets dont l'on parle trop peu. Histoire de briser des tabous.
Tessae : En fait, cela faisait déjà un an que j'avais ce son dans mon ordi ! Je l'avais écrit à une période- même si ça n'a pas vraiment changé- où je lisais plein de témoignages de filles harcelées sur les réseaux. Dès que je me connectais, je tombais sur une histoire de harcèlement de rue. Des photos, des vidéos, des publis.
Et un jour, ma propre soeur est revenue à la maison en disant : "Je rentre de la gare, un mec m'a craché dessus et m'a traité de 'salope'". Alors j'en ai eu marre de tout ça en fait. Donc si je peux en parler à mon public, je le fais. J'ai d'ailleurs reçu beaucoup de retours positifs après la sortie du morceau. De meufs, mais aussi de mecs, qui me disaient que c'était bien d'avoir parlé de ça. Même si bon j'ai aussi quelques messages machos bien sûr...
C'est normal : Salope, c'est un titre qui surprend, on ne s'attend pas forcément à ça quand on le lance. Tout de suite, il t'interpelle. C'est volontaire. Car se prendre un "Salope" dans la rue, ça brusque, ça fait mal aussi. Je voulais que les gens qui ne savent pas ce que ça fait ressentent ça.
Tessae : Ah oui, totalement. On m'a dit que Salope était un son féministe d'ailleurs et je l'assume totalement. Je suis une femme, alors oui je suis féministe (sourire). C'est normal quand tu es une femme de vouloir être respectée, de refuser de te prendre des remarques car tu es une femme, de désirer l'égalité entre les sexes.
Et de défendre la sororité aussi, d'être de tout coeur avec les victimes de violences. "Féminisme" peut encore être perçu comme un mot négatif, qui effraie, alors que pas du tout, ce n'est pas la fin du monde non plus (rires). On a de la chance de voir des nouvelles générations plus ouvertes à ce sujet.
Tessae : En fait, je ne considère pas forcément ma musique comme étant du rap, je dirais plus qu'elle est "hybride". Et évoquer un sujet comme celui de Salope, c'était naturel pour moi, je ne l'envisage même pas comme une prise de position à proprement parler. Mais si pour certains ça l'est, alors je l'accepte, pas de soucis (sourire).
Tessae : Oui, j'étais agréablement surprise quand il m'a invitée sur scène à We Love Green à Vincennes. On a l'image d'un Booba "gros dur" et compagnie mais en vrai, durant les répétitions, il venait voir si ça allait, donnait de la force avant et après le concert, m'a félicité. Je le connais pas personnellement mais c'était une bonne expérience.
Tessae : Je vois ce qu'il veut dire mais je ne pense pas que, parce qu'une meuf va traiter d'un sujet qu'un mec aurait traité, elle souhaite forcément se donner un genre ou "faire son bonhomme". Les filles parlent de réalités, de choses qu'elles vivent au quotidien. Le problème, c'est qu'on considère que le rap est un genre forcément masculin. Celles qui en font ne seraient pas "féminines" ou essaieraient de passer pour "les gros durs"...
Tessae : Il y a un travail à faire, mais pas tant dans l'industrie que par rapport à la vision qu'en ont les gens, à la vision qu'ils ont encore des femmes dans l'industrie. Les auditeurs vont facilement faire entrer en concurrence des artistes féminines en les comparant entre elles par exemple (c'est ce qui arrive à une rappeuse comme Chilla). Comme si elles étaient forcément en compétition et qu'il ne pouvait en rester qu'une alors que pas du tout. Il y a de la place pour tout le monde !
Tessae : Avec ma musique, je m'inspire un peu de Damso ou d'Orel [Orelsan, ndrl], mais mes vraies inspis, ce sont les artistes que j'écoutais quand j'étais au collège/lycée, comme Aurora et Billie Eilish donc. Ce que j'aime avec Billie Eilish, c'est qu'elle ait réussit à casser les codes. Mais aussi à devenir une superstar et une vraie artiste en revendiquant un look totalement décalé.
Elle a su imposer un style de musique trop sous-coté et proposer des sons différents avec des thématiques vraiment fortes. Puis elle prend souvent parti sur ses réseaux. Le message qu'elle transmet à son public me touche aussi – ce besoin d'être elle-même et de l'assumer.
Tessae : Non, car j'ai eu la chance d'être très bien entourée depuis le début en rencontrant l'équipe avec laquelle je travaille encore maintenant. Et donc d'être rapidement écoutée. Aujourd'hui, on me demande comment je me sens, on s'intéresse à ma vision et à ce que je souhaite transmettre.
Par contre, avant de faire tous mes trucs en mode "pro" je faisais beaucoup de concerts dans des bars et des cafés. Et là, suivant les publics, j'étais plus confrontée à des réactions relous. De gens qui pensaient que je n'étais pas à ma place et qu'il fallait que je leur prouve quelque chose. Mais ça, c'était vraiment sur les scènes du début.
J'ai vite compris que je n'avais rien à "prouver" à personne justement, et tant pis si je ne correspondais pas à des codes ou à des normes dictés. Bon en terme de sexisme, il y a encore des remarques que je peux me prendre sur les réseaux de la part de certains auditeurs. Mais sinon ça va (sourire).
Tessae : Le fait de ne pas être mise en lumière simplement parce qu'on est une meuf. D'être sous-cotée comme artiste mais aussi de ne pas être écoutée, de ne pas être prise au sérieux quand on est une femme artiste.
Tessae : L'égalité salariale. Ça prend tellement de temps !
Tessae : Truth Hurts de Lizzo.
Tessae : Plutôt qu'un personnage de fiction, je dirais : ma mère ! Elle est ma plus grosse source d'inspiration par rapport à beaucoup de trucs.
Tessae : "Casse les cases !". Se dire qu'il n'y a pas de "normalité" ou de bizarrerie, arrêter de juger et accepter l'autre comme il est. Casser les codes et ne pas rentrer dans les cases : voilà ce qui devrait devenir la nouvelle normalité ! (rires)