Il y a aura clairement un "avant" et un "après" cet article. Marchant sur les pas d'Adèle Haenel et de Judith Godrèche, Juliette Binoche s'est longuement entretenue à propos des violences sexistes et sexuelles dans le cinéma français. L'espace d'une interview majeure pour "Libération", elle a tout dit.
Dans Libé, l'une des plus grandes actrices hexagonales revient sur une carrière foisonnante, riche en partitions intenses et... En harcèlement sexuel, et en agressions sexuelles. Juliette Binoche raconte par exemple cette fois où le cinéaste Pascal Kané a tenté de l'embrasser de force. Elle n'avait que la vingtaine. Puis cette autre fois où sur le tournage du sulfureux "Rendez vous" d'André Téchiné, une main "est venue subitement toucher son sexe".
"On ne m'avait pas prévenue, et encore moins demandé mon accord. Je n'ai jamais su si cette main provenait d'une demande du metteur en scène, ou si c'était l'acteur qui avait pris cette liberté et je n'ai pas trop envie de le savoir", déplore-t-elle. Et puis, il y a également cette autre éprouvante agression, survenue lors du tournage de "L'Insoutenable Légèreté de l'être". Le réalisateur, Philip Kaufman, serait entré dans la caravane de l'actrice "pour la peloter". Elle poursuit : "Je l'ai repoussé, il n'a pas insisté".
Mais Juliette Binoche pourrait aussi vous parler de ces instants où le producteur Alain Terzian venait, sur le tournage de "Rendez Vous", assister à... Ses propres scènes de sexe, "son gros cigare en bouche".
Et ca ne s'arrête pas là.
Ce qui est impressionnant dans ce témoignage, c'est sa densité, la précision des faits, leur multiplicité. La persistance de ces violences aussi, dans la vie de Juliette Binoche, qui fera certainement écho, hélas, à l'existence de bien des femmes anonymes. "J'avais quelques repères de méfiance dès ma vingtaine, une première fois pour avoir été touchée par un maître d'école à 7 ans qui m'apprenait à lire en caressant mon sexe derrière son bureau devant la classe", se remémore-t-elle à ce titre. C'est glaçant, et cela semble sans fin.
L'actrice Césarisée et Oscarisée évoque également le "viol d'une figurante" durant le tournage du film Les Enfants du siècle de Diane Kurys, et le tournage extrêmement dérangeant de La vie de famille, dirigé par Jacques Doillon - que Judith Godrèche accuse aujourd'hui d'agressions sexuelles - où la jeune comédienne faisait l'objet, à travers son personnage, de "perturbantes répliques" - "Ta mère veut que je t'aime. Elle rêve que nous fassions l'amour ensemble. Alors je vais t'aimer" - et, une nouvelle fois, de scènes de nu ("Sur place, tout de suite, je devais retirer ma robe tee-shirt dès la première scène en hurlant.")
Et finalement, la comédienne dresse un constat, celui d'une carrière certes, mais surtout d'un milieu artistique en son intégralité, et d'une banalisation absolue des abus qui lui est relative : "Dans les années 90 il n'y avait pas un scénario sans une scène nue. J'ai appris à sauter dedans, comme on plonge en mer froide, tête la première. J'acceptais tout avec fougue. Les coups bas, les gestes déplacés, les remarques sexistes : je ne les oublie pas".
C'est un entretien vertigineux, et dont la résonnance semble se confronter à un cinglant silence, particulièrement sonore au sein du milieu du cinéma français. De quoi renvoyer à ces mots si éloquents de Judith Godrèche, s'adressant à l'assistance des César : "Serait-il possible que nous puissions regarder la vérité en face, prendre nos responsabilités ? Depuis quelque temps, je parle, je parle, mais je ne vous entends pas. Ou à peine. Où êtes-vous ? Un chuchotement, un demi-mot, ce serait déjà ça".
No comment.