Les "Mignonnes" sont de jeunes danseuses. Et Amy, 11 ans, rêve d'en faire partie. Pour ce faire, elle va s'initier à une gestuelle plutôt audacieuse : le twerk. Vu de loin, le pitch du dernier film de la réalisatrice et scénariste franco-sénégalaise Maïmouna Doucouré, sorti ce 19 août en France, laisse circonspect. Sur la Toile, on accuse déjà l'oeuvre de tous les maux, et notamment de sexualiser le corps des jeunes filles.
La faute à quoi ? A une étrange promo américaine assurée par Netflix, chargé de la distribution outre-Atlantique du film. L'affiche, relayée par le site de streaming, dévoile effectivement les protagonistes (des enfants) effectuant des poses "provocs" en short. On est très loin de la sobriété de l'affiche française. Un jeune internaute l'a d'ailleurs remarqué : "La version américaine de l'affiche est juste putain de dégoûtante". Clair, net.
Résultat, cette vision scandalise. Une pétition a même été lancée sur Change.org, exigeant le retrait immédiat du film, accusé de faire "la promotion de la pédopornographie". Le texte a déjà récolté des milliers de signatures. Un accueil si incendiaire que la cinéaste Maïmouna Doucouré a dû quitter les réseaux sociaux après avoir reçu un grand nombre de messages vindicatifs. Un harcèlement fustigé par Marlène Schiappa et une finalité malheureuse pour une interprétation générale qui, à en croire bien des voix enthousiastes, passe totalement à côté du message de l'oeuvre.
Le message de Mignonnes, sa réalisatrice l'explique d'ailleurs dans les pages du magazine Paris Match : "J'ai eu l'idée après avoir vu dans une fête de quartier des filles de 11 ans danser de manière super lascive. Je me suis dit : "Est-ce qu'elles ont conscience du message qu'elles renvoient ? Ce que montre le film, c'est qu'à 11 ans, on est encore une enfant et qu'on ne peut pas être consentante". On le comprend, son oeuvre ne sexualise pas le corps des enfants, mais critique justement cette sexualisation, banalisée au sein de notre société.
"C'est drôle de voir tous ces gens critiquer Mignonnes (sans l'avoir vu) sur le fait qu'il met en avant des jeunes filles hypersexualisés... comme si le problème était le film... et non le problème de société qu'il décrit", tacle à ce titre la newsletter féministe Les Glorieuses. Hélas, tout le monde n'a pas envisagé ce paradoxe...
Tant et si bien que sur les réseaux sociaux, on associe la promotion aux fraises de Netflix à une "volonté de nuire" à la bonne réception du film. Une incompréhension alors que l'oeuvre a été sacrée au dernier Festival du film de Sundance, dans la catégorie Réalisation. C'est justement là que l'a découvert l'actrice afro-américaine Tessa Thompson (Creed, Westworld). Sur Twitter, la comédienne salue la beauté d'un film qui "commente l'hyper-sexualisation des filles préadolescentes". Il faut croire que tout le monde n'est pas passé à côté de sa pertinence.
En France d'ailleurs, nombreuses sont les critiques à avoir aimé la réflexion de Maïmouna Doucouré. Le site Jeune Afrique voit là "un coup de poing contre les injonctions faites aux filles", dénonçant l'emprise des réseaux sociaux sur les enfants. Et pour Le Monde, c'est avant tout la "force politique" de son récit qui impressionne.
"Il est très important de voir Mignonnes et de soutenir Maïmouna Doucouré, poursuit un jeune blogueur et critique cinéma. Ne vous laissez pas avoir par du marketing douteux de plateformes qu ne comprennent pas ce qu'elles vendent. Maïmouna Doucouré a dû fermer ses pages sur les réseaux sociaux à cause du torrent de haine qu'elle se prenait dans la gueule de la part de gens qui n'ont même pas vu son film. La honte totale. Navrant de voir à quel point le public américain passe COMPLÈTEMENT à côté du message du film."
Bad buzz oblige, Netflix est revenu sur cette mauvaise "gestion" promotionnelle. "Nous sommes profondément désolés pour les illustrations inappropriées que nous avons utilisées pour Mignonnes. Ce n'était pas approprié ni représentatif de ce film français qui a remporté un prix à Sundance. Nous avons maintenant mis à jour les images et la description", peut-on ainsi lire sur les réseaux du site. Un mea culpa qui arrive un peu tard.