Cette année de pandémie de Covid aura-t-elle des incidences concrètes sur le monde de l'entreprise ? Il n'est pas aberrant de se poser la question après cette normalisation plus nette du télétravail au sein du pays depuis 2020. Les termes "présentiel" et "distanciel" semblent ne jamais avoir été aussi employés à la machine à café. Mais bien des voix expertes exigent désormais que des changements s'observent par-delà l'usage du simple lexique.
Comment ? En privilégiant le "travail hybride". Tout est dans le nom : le travail hybride consiste en un équilibre hebdomadaire réfléchi entre la présence au sein de l'entreprise et le télétravail. Une organisation en phase avec son temps qui témoignerait de la confiance des employeurs pour leurs employé·e·s, et d'une forme de lucidité quant au modus operandi de bien des professions actuelles.
On a voulu s'y attarder.
Harmonie des modalités recherchée entre présentiel et distanciel, le travail hybride est ce que l'on appelle dans le jargon bureaucratique du "flex office" ("office" signifiant bureau). Comme l'intitulé l'indique, c'est la flexibilité qui palpite au coeur de ce concept déconseillé aux managers trop frileux. Quoi de plus logique ? L'avènement des réseaux sociaux depuis le début des années 2000, puis le boom d'outils de communication comme Zoom l'an dernier, sont les signes d'une évolution des pratiques qui ne pouvait que bousculer le monde de l'entreprise.
Une modernisation utopique ? Pas tant que cela. Suite à l'année de pandémie écoulée, bien des employés envisagent concrètement la chose. Selon une étude du site professionnel Cadre Emploi, 78% des Français·e·s préféreraient un modèle de travail hybride à un fonctionnement 100 % présentiel ou 100 % distanciel. 63% des sondé·e·s désireraient bénéficier "d'un maximum de 2 jours de télétravail par semaine", poursuit l'étude. Evoquant une recherche parallèle de l'Observatoire Cetelem, le site pro précise qu'une majorité des Français·e·s (60%) aimeraient en outre avoir la possibilité de travailler à l'extérieur, dans des jardins et parcs par exemple.
La démonstration par les chiffres d'une réalité : celle de la désacralisation du bureau d'entreprise. Le fonctionnement traditionnel est remis en question dans ce qu'il a de plus statique. Cela ne date pas d'hier, comme a pu le prouver au fil des années la popularité grandissante des espaces de co-working. Au niveau du planning comme du lieu de travail, le maître-mot de notre époque serait donc cette adulée "flexibilité".
"Si cette crise globale nous permettait de réfléchir autrement, ce serait à la fois utile pour les salarié·e·s et pour la santé des entreprises. L'idéal serait de repenser des modes de travail qui soient valorisants pour les salarié·e·s, en s'aidant des moyens que l'on a à disposition. En assurant un équilibre, c'est-à-dire en prônant la mise en place de modes d'organisation hybrides, qui permettraient d'utiliser toutes les potentialités qui s'offrent à nous", nous expliquait déjà la professeure des universités en sciences de gestion Aurélie Dudézert l'an dernier.
Beaucoup aujourd'hui partagent cette opinion. Et énumèrent volontiers les avantages observés de l'hybride. C'est notamment le cas du magazine Stylist, qui voit là d'indéniables vertus pour la santé mentale, l'efficacité au poste et le bien-être - n'en jetez plus ! Conserver un contact et une interaction certaine avec ses collègues et employeurs tout en évitant les déplacements quotidiens n'est pas la moindre de ces vertus.
"L'un des principaux avantages pour les employé·e·s travaillant à domicile est la réduction des déplacements domicile-travail, des temps et des coûts associés. Ce temps peut être utilisé pour des activités qui favorisent le bien-être comme l'exercice, le temps avec les amis et la famille ou les passe-temps", développe à la revue la coach Gemma Dale, qui conçoit le travail hybride comme un juste milieu souhaité : aux avantages du travail à domicile s'ajoutent ceux du présentiel, c'est-à-dire une forme de discipline et un relationnel plus concret.
Du taf concret, sain, cohérent, oui, et efficace, aussi. "Pour certaines tâches, on est très efficace en présentiel, au sein d'un collectif, et pour d'autres, on le sera davantage en travail à distance. Or, on peut tout à fait 'mixer' les deux et viser une meilleure efficacité ainsi. Les nouvelles technologies permettent cet équilibre. Il serait dommage de s'en priver", développe à ce titre la spécialiste Aurélie Dudézert. Un argument massue qui tient la route.
S'il est encore trop tôt pour envisager une normalisation de ce mode de collaboration, bien des voix annoncent ce changement des mentalités (et des modalités). Ainsi le blog expert Talk Spirit loue-t-il cette méthode "phygital" (entre le physique et le digital) en insistant sur les chiffres d'une enquête menée par l'Observatoire du télétravail, des conditions de travail et de l'ergostressie (OBERGO) il y a trois ans déjà : selon celle-ci, 86 % des salarié·e·s français·e· déclareraient être plus productif·ve·s grâce au télétravail. C'est beaucoup.
De quoi faire réfléchir bien des employeurs. Exigeant une organisation collaborative (à savoir une entente claire entre leaders et employé·e·s), l'hybride est une alternative moins radicale que le distanciel à tout prix, mais plus réaliste (et soit dit en passant, plus écologique) qu'un métro-boulot-dodo que la France semble vouloir préserver cinq jours sur sept. Et si l'on tenait là l'une des futures révolutions du "monde d'après" ?