"Témoigner ne suffit plus : rien n'a changé, les hommes sont toujours aussi violents" décoche-t-elle sur le compte Facebook de son blog. Créatrice du Tumblr Paye ta Shnek, Anaïs Bourdet recueille et relaie depuis sept ans les mots de toutes celles qui ont eu à subir les pires violences - aussi scandaleuses que banalisées. Mais aujourd'hui, elle n'en peut plus.
"Je n'arrive plus à lire vos témoignages et à les digérer en plus des violences que je vis dès que je mets le pied dehors" explique-t-elle à ses abonné.e.s l'espace d'un post Facebook particulièrement touchant. "La colère que j'ai accumulée me bouffe et me pousse à réagir quasi systématiquement, et la plupart du temps, ça ne fait qu'envenimer la situation" ajoute-t-elle avec émoi. En clôturant Paye ta Shnek, la blogueuse souhaite se reposer de cette étiquette qu'on lui a collé - celle de "la meuf de Paye ta Shnek" - et surtout, de la charge mentale que tout cela suppose. L'impression de porter toute la souffrance des femmes sur ses épaules. Ce qui, explique-t-elle à LCI, a provoqué en elle des crises d'angoisse et des épisodes dépressifs.
"Je suis épuisée et, honnêtement, terrorisée", confesse Anaïs Bourdet. Dans son message public, elle évoque une expérience personnelle qui fit l'effet d'un déclic. L'agression qu'elle a subi ce samedi soir (22 juin), elle, sa meilleure amie et "deux autres femmes", par "des inconnus ultra-dominants". Elle le déplore : "Entre les forceurs, les frotteurs, les étrangleurs, les mecs qui menacent et ceux qui frappent avant même de parler, ça fait beaucoup".
Mais l'heure n'est pas aux regrets. Car Anaïs Bourdet laisse bien des choses derrière cette très légitime décision. Une initiative parmi les plus salutaires qui soit. Un lot de dérivés tout aussi relayés, de "Paye ta fac" (sur le sexisme ordinaire à l'université) à "Paye ton journal" (qui épingle les inégalités de genre dans les médias) en passant par "Paye ton taf" (consacré au harcèlement au travail). Mais aussi l'une des premières prises en considération du harcèlement de rue, et de tout ce que cela implique. A n'en pas douter, il y aura toujours des "Paye ta" ou des "Balance ton quoi" pour éveiller les consciences - tant qu'il y aura des injustices et des violences sexistes.
Doit-on pour autant voir en ces paroles indignées l'attente d'un acte révolutionnaire qui ne vient pas ? Ou cette révolution n'a-t-elle pas déjà lieu, avec les soulèvements majeurs opérés par #MeToo et #BalanceTonPorc ? Et si ces événements en amenaient d'autres, plus considérables encore ? En attendant que réponses se fassent, l'on guettera avec curiosité les futurs projets d'Anaïs Bourdet.
L'instigatrice évoque par exemple sa participation à l'excellent podcast Yesss. Un programme sonore qui, aux côtés de bien d'autres, rappelle l'importance et la puissance du témoignage. Car le langage est un combat qui se mène au quotidien. Anaïs Bourdet précise sa pensée actuelle auprès de LCI : "il y a la colère que tu subis, la colère que tu écoutes, celle que tu accueilles". Et il y aura toujours des oreilles - et des micros - pour tendre vers elle. C'est ce que laisse supposer la belle signature de l'activiste féministe : "Amour, Sororité".