Si le droit à l'avortement est en recul partout en Europe, par la loi ou le manque de médecins, il existe aussi des bastions qui le refusent catégoriquement. L'Irlande du Nord en est un. L'avortement est légal depuis 1967 au Royaume-uni mais l'Irlande du Nord qui en fait partie n'a jamais adopté cette législation. Avec le référendum qui a donné largement gagnant le oui avec 66 % des votes chez leurs voisins du sud, les choses pourraient-elles bouger au nord ? La pression en tout cas est grandissante.
L'Irlande du Nord vit en pleine hypocrisie sur le sujet est encore soumise à une loi datant de 1860. Cette loi punit l'avortement de la prison à vie même en cas de viol d'inceste ou de malformation. Le seul avortement autorisé récemment est celui en cas de risque pour la vie de la mère. Ainsi, en 2015 et 2016 par exemple, il n'y en a eu que seize.
Depuis 2017, le gouvernement britannique a annoncé qu'il financerait les frais d'avortement et ceux du voyage pour aller en Angleterre ou au Pays de Galles pour celles qui souhaiteraient y avoir recours. Elles sont environ 700 par an à traverser la mer d'Irlande pour se faire avorter en Grande-Bretagne. C'est la politique du "je ferme les yeux mais fais ce que tu veux tant que ça ne se passe pas dans mon jardin."
Le droit à l'avortement dans ce bout du Royaume-uni se retrouve aujourd'hui coincé politiquement à cause... du Brexit. En effet, le parti majoritaire en Irlande du Nord est le Parti démocratique unioniste nord-irlandais (DUP) et il est farouchement opposé à l'IVG. Or il est aussi un allié de Theresa May, la Première ministre britannique en charge de mettre en oeuvre le Brexit. Ce parti lui assure une majorité fragile au parlement. Elle-même qui est favorable à l'avortement se retrouve coincée. A l'annonce des résultats sur le référendum en République d'Irlande, la Première ministre s'est satisfaite dans un tweet : "Je félicite les Irlandais·es pour leur décision".
De peur de perdre ses alliés, May ne peut pas se prononcer sur l'Irlande du Nord malgré les nombreux appels lancés par les militant·e·s depuis ce week-end.
Pourtant, sa propre Ministre des femmes et de l'égalité, Penny Mordaunt, y est favorable. Dans un tweet posté le 26 mai dans la nuit juste après le référendum en Irlande, elle se met en total désaccord avec la position officielle de son gouvernement : "Selon les sondages sortis des urnes, c'est un jour grand et historique pour l'Irlande, et un jour plein d'espoir pour l'Irlande du Nord. Cet espoir ne doit pas être déçu. Les histoires de #HomeToVote [à la maison pour voter] sont des témoignages forts et émouvants et qui montrent les raisons pour lesquelles cela devait arriver et que la compréhension et l'empathie existent entre les générations. #trustwomen [faites confiance aux femmes]."
Penny Mordaunt a le soutien de plusieurs autres membres du gouvernement, mais aussi de 160 parlementaires et de quatre de ses prédécesseuses.
Par ailleurs, l'Irlande du Nord n'a plus d'activité parlementaire depuis un an et demi à cause de différends entre partis politiques ce qui bloque toutes discussions. Arlene Foster, la cheffe du DUP ultra-conservateur et chrétien, s'est exprimée sur ce sujet dans des propos rapportés par le Times. "Le DUP est un parti pro-vie et nous allons continuer à nous prononcer clairement sur cette position. C'est une problématique extrêmement sensible et pas une qui amène les gens à descendre dans la rue pour faire la fête". Les droits des femmes se retrouvent donc complètement bloqués et au coeur d'enjeux politiques sans rapport avec eux.
Amnesty International a des mots durs contre cette législation rétrograde d'Irlande du Nord. L'ONG demande via une pétition l'alignement des lois d'Irlande du Nord avec les standards de droits humains internationaux "ce qui inclut la décriminalisation de l'avortement", mais aussi l'utilisation des pilules abortives. Cette année encore, comme le rappelle l'ONG, la police a effectué des raids le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, pour essayer de trouver des pilules chez les activistes. "Rien n'a été trouvé, mais cela s'ajoute au climat de peur dans ce régime déjà sévèrement restrictif". Amnesty demande au gouvernement du Royaume-uni "de s'engager et de créer un changement là où les politiciens d'Irlande du Nord ont échoué".
Mais tout n'est pas perdu. Les militant·e·s tentent de s'engouffrer dans toutes les brèches possibles et notamment celles qui entourent la décentralisation au Royaume-Uni. La Cour suprême britannique doit se prononcer cette année sur un recours qui étudiera l'adéquation de la situation en Irlande du Nord avec la législation internationale sur les droits humains.