Culture
"Baltringue", le court-métrage bouleversant sur l'amour gay en prison
Publié le 28 janvier 2021 à 17:57
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
En filmant l'histoire d'amour empêchée entre deux hommes en prison, la réalisatrice Josza Anjembe signe un court-métrage poignant et délicat. Son "Baltringue" est en compétition pour les César 2021. Interview.
 Alassane Diong et Yoann Zimmer dans le court-métrage "Baltringue" Alassane Diong et Yoann Zimmer dans le court-métrage "Baltringue"© Yukunkun Productions (YUK)
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Issa scrute, toise. Issa est seul, si seul. Enfermé dans un centre pénitentiaire, mais aussi cloîtré dans sa prison mentale. Vulnérable et isolé entre ces murs qui suintent la masculinité toxique et la violence. Alors qu'il s'apprête à enfin s'extirper, un nouveau vient bousculer sa routine. Gaëtan lit, sourit. Gaëtan est différent. Entre ces deux âmes paumées, une parade va s'amorcer, quasiment muette, intérieure. Une petite bulle de douceur dans un monde de brutes, un souffle d'humanité qui affleure pour rêver à mieux (et à deux).


Baltringue est le deuxième très beau court-métrage de la réalisatrice Josza Anjembe, déjà nommée aux César 2018 pour Le bleu blanc rouge de mes cheveux. En 20 minutes tendues et bouleversantes, l'ancienne documentariste parvient à nous nouer la gorge. Mais aussi à nous redonner espoir. Un petit bijou en lice pour les prochains César, qui se tiendront le 21 mars. Nous avons papoté avec la jeune réalisatrice de ce film aussi sensible que politique.

Regardez Baltringue en ligne :

Terrafemina : Qu'est-ce qui vous a inspiré cette histoire ?

Josza Anjembe : L'enfermement mental, l'homophobie intériorisée, mais aussi l'homophobie qui gangrène la société et tout ce qui conduit quelqu'un à ne pas s'écouter.

Pourquoi avoir choisi de planter cette histoire LGBT en milieu carcéral, temple de l'hétéronormativité ?

J.A. : Je menais des ateliers d'éducation à l'image dans des maisons d'arrêt et je me suis demandé comment, à travers une métaphore cinématographique, je pourrais traiter de la question de l'enfermement en tant que prison mentale. Et je voulais également parler des oppressions sociétales.

Vous avez fait le choix de mettre en scène des hommes.

J.A. : Oui, parce qu'on a le droit en tant que réalisatrice de parler des hommes sachant qu'il y a beaucoup d'hommes qui mettent en scène des femmes (sourire). Et puis j'avais besoin de prendre de la distance avec mon histoire personnelle. Enfin, j'avais beaucoup travaillé avec des hommes durant les ateliers que j'animais en prison donc cela m'a semblé naturel et intéressant.

Qu'avez-vous injecté de votre propre parcours dans ce film ?

J.A. : Tellement de choses ! Le parcours de violence en tant que femme, en tant que femme noire, en tant que femme noire qui aime les femmes. Et puis il y a aussi la violence institutionnelle, l'amour, la figure parentale telle qu'elle peut exister autour de moi ou chez des amis, l'humanité.

D'ailleurs, votre film est très sensible, à l'opposé des images de prison que l'on associe à la domination et à la violence. Aviez-vous en tête de renverser ces clichés ?

J.A. : J'ai passé plusieurs mois à regarder des films de prison parce que je ne voulais pas justement faire un "film de prison". Je souhaitais restituer le quotidien d'un détenu tout en cassant les clichés qui ne correspondaient pas à la réalité que j'ai pu observer sur le terrain pendant un an, comme les uniformes, les réfectoires où les mecs mangent à 200 dans une salle... Ca, ça n'existe pas en France.

En fait, je voulais avant tout faire place à l'amour. Et je voulais montrer ce que j'ai pu voir en prison : des hommes, des femmes et ce qui reste d'humanité dans ce cadre carcéral. Cela passe par des ateliers, une tentative de réinsertion...

Alassane Diong, acteur du court-métrage "Baltringue" © Yukunkun Productions (YUK)
Les hommes gays racisés sont très peu représentés à l'écran ou alors cantonnés au "meilleur pote homo".

J.A. : En effet, on constate qu'il y a peu de personnes queer racisées représentées dans le cinéma français. Mais la vraie question, c'est de savoir pourquoi. Et les réponses sont multiples.

Quelles seraient les pistes de réflexion ?

J.A. : Sans être experte, je dirais qu'il existe un frein sociétal lié aux discriminations que l'on connaît toutes et tous. Il n'y a qu'à voir la composition des écoles de cinéma... Je ne parle pas seulement de race : je parle aussi de genre, de classe sociale, de validisme. Sans compter l'accès à l'éducation, la représentation. Et ces discriminations s'opèrent de bout en bout, de l'écriture à la production et la distribution.

Comment vous imaginez-vous la suite de l'histoire d'Issa ou Gaëtan ?

J.A. : J'écris souvent mes films en commençant par la fin. Pour Baltringue, je savais dès le départ que cela se terminerait par une scène de violence. Une scène qui symboliserait la violence de l'Etat, la violence que l'on s'inflige, la violence d'être un homosexuel noir dans la société française d'aujourd'hui. Un parcours que beaucoup de personnes LGBT connaissent et subissent. En résumé, nous ne sommes jamais tranquilles. Surtout, j'avais très envie de faire un film dont la suite appartiendrait au spectateur. C'est à lui de décider de ce qui va se passer ensuite. C'est une manière de le laisser s'approprier l'histoire.

Votre prochain projet ?

J.A. : Justement, cela pourrait être un long-métrage qui serait la suite de Baltringue. Je commence l'écriture en ce moment.

Baltringue

Un film de Josza Anjembe

Avec Alassane Diong et Yoann Zimmer

Mots clés
Culture LGBTQI News essentielles homosexualite interview cinéma discrimination
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