Enfin. Après deux longues années de débats parlementaires souvent houleux entre la présidente Michelle Bachelet et les partis politiques du pays prônant le conservatisme, le Chili va enfin dépénaliser partiellement le recours à l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Lundi 21 août, le tribunal constitutionnel a en effet donné un vote favorable à l'autorisation de l'avortement thérapeutique, c'est-à-dire le droit d'avorter en cas de foetus non viable, de risque de santé pour la femme enceinte ou si la grossesse résulte d'un viol.
Selon la présidente Michelle Bachelet, dont le mandat s'achève à la fin de l'année, cette mesure était essentielle pour que les femmes se sentent libres dans leur corps, sans craindre la prison ou la stigmatisation sociale. "C'est le minimum que le Chili doit à ses femmes", a déclaré la présidente. En effet, dans un pays qui compte plus de 120 000 avortements clandestins, la situation devenait urgente.
Un phénomène d'autant plus étonnant quand on sait que, d'après un récent sondage de l'institut CADEM (l'équivalent chilien de l'INSEE), 71% des chiliens sont favorables à la dépénalisation de l'avortement. En avril 2015, l'organisation féministe Miles Chile avait d'ailleurs lancé une campagne en faveur de la dépénalisation de l'avortement au Chili, en mettant en scène de faux tutoriels pour mettre fin à une grossesse.
Alors, comment expliquer un tel retard ? Interviewé par Les Inrocks, Franck Gaudichaud, spécialiste en études latino-américaines explique : "Le fond le plus réactionnaire de la politique chilienne est ressorti sur le devant de la scène à l'occasion des débats parlementaires sur cette loi. Des séances ont été interrompues par l'intervention de groupes évangélistes, et certains membres de la droite continuent à dire qu'en cas de viol il faudrait consulter le violeur pour savoir s'il est d'accord ou pas sur l'avortement, car il est le père."
Au Chili, l'avortement est totalement interdit depuis 1989. Un héritage de la dictature du général Pinochet, qui est resté au pouvoir pendant plus de 16 ans. Avant le régime militaire instauré par Pinochet, le Chili était d'ailleurs l'un des pays les plus tolérants d'Amérique du Sud en terme d'IVG, puisqu'il a autorisé l'avortement thérapeutique dès 1931. "Dès la transition, il y a eu de grandes mobilisations féministes en faveur du droit à l'IVG, mais aussi de grandes résistances de l'Eglise catholique, du parlement, de la droite et de la Démocratie chrétienne (DC)", souligne Franck Gaudichaud.
Le vote de cette nouvelle loi représente donc une avancée historique pour le droit des femmes, même si le droit à l'IVG reste encore très limité. En effet, comme le souligne Maria Stella Toro de la fondation chilienne EPES (Popular Education in Health) au Guardian , "il est difficile de considérer ce vote comme une victoire complète, dans la mesure où, en dehors des trois cas dorénavant autorisés, toutes les autres formes d'avortement continuent d'être considérées comme des crimes punis par la loi."
D'autant plus que le tribunal constitutionnel a par ailleurs autorisé l'objection de conscience, c'est-à-dire le droit pour les médecins de refuser de pratiquer ce type d'intervention si cela va à l'encontre de leur éthique. La route est donc encore longue pour ces femmes. "Le véritable test consiste à s'assurer de l'application réelle et effective de la loi. Il faut que les femmes bénéficient de tous les soins de santé dont elles auront besoin et que ces réformes leur ouvrent la porte pour pouvoir profiter pleinement de leurs droits", considère pour sa part Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques à Amnesty International.
En Amérique latine, cinq pays pratiquent encore l'interdiction totale de l'avortement : Haïti, le Nicaragua, la République dominicaine, le Salvador et le Surinam. Espérons que le Chili leur serve d'exemple et les encourage à assouplir leurs lois à leur tour.