Lifestyle
L'odyssée féministe (trop) méconnue de la coupe au carré
Publié le 24 mai 2021 à 18:43
Par Louise Col
De Lady Di à Mia Wallace, de Louise Brooks à Winona Ryder, la coupe au carré a été valorisée par bien des icônes féminines au fil des décennies. A travers cet imaginaire pop, c'est surtout une histoire profondément féministe qui caractérise ce style capillaire.
Mia Wallace, étendard pop de la coupe au carré ("Pulp Fiction"). Mia Wallace, étendard pop de la coupe au carré ("Pulp Fiction").© BAC Films
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Jackie Kennedy, Doris Day, Uma Thurman, Lady Diana, Rihanna... Bien des icônes de la culture populaire ont un jour ou l'autre revêtu la coupe au carré - ou "bob haircut" comme l'intitulent les Anglophones. Un look capillaire si stylé qu'il fut aussi bien adopté par Louise Brooks et Paris Hilton que par Anna Wintour, la grande papesse de la presse glam'.

Courte et classe, cette coupe exprime un grand mix d'assurance en soi et de sensualité. Elle nous renvoie à l'attitude irrévérencieuse de Mia Wallace, l'électron libre tragicomique (et danseuse déchaînée) de Pulp Fiction : un personnage qui, non contente de moderniser ce look centenaire, a mis en évidence son insolence sous-jacente. Si ce n'est, sa subversion. Il faut dire que ce qui fait la qualité de la bob haircut, c'est son caractère révolutionnaire.

Et féministe. Coup de rétro sur des tifs pas comme les autres.

La coupe des plus grandes

Beaucoup se posent LA question qui brûle les lèvres : depuis quand les femmes arborent-elles une coupe au carré ? La majorité des réponses nous fait voyager dans le temps, direction le début du siècle dernier. Il faut effectivement attendre les années 1920 pour que ce carré à la Jeanne d'Arc se popularise. On doit cette hype au mythique coiffeur polonais Antoni Cierplikowski. Surnommé "Monsieur Antoine" ou "l'empereur des coiffeurs", cet avant-gardiste a appliqué ces coups de ciseaux audacieux auprès de stars comme la Première dame Eleanor Roosevelt et l'actrice Greta Garbo, mais aussi Coco Chanel, comme nous le rappelle ce reportage du Point.

Rien que ça oui. A la fin des années 20, la coupe au carré semble particulièrement fasciner l'industrie du cinéma. Le cinéaste allemand Georg Wilhelm Pabst déploie l'une de ses plus belles variations en la personne de Loulou, incarnée par l'iconique Louise Brooks dans la production européenne éponyme. Derrière les tifs de l'actrice, une aura de mystère et de liberté, un charme insaisissable qui trouble le regard autant qu'il lui échappe.

La coupe au carré matricielle de Louise Brooks dans "Loulou" de Georg Wilhelm Pabst. © Süd-Film

Avec des profils comme le sien ou celui de sa consoeur Clara Bow (autre icône du muet érigée en "garçonne" emblématique de l'usine à rêves dans les années vingt), on tient déjà là tout l'ADN de cette coiffure novatrice. La même décennie, des vedettes américaines comme Mary Thurman affichent ce style à l'unisson.

The Fashion Folks suggère même que la mode aurait pris la décennie précédente, avec l'appui d'artistes comme Irene Castle, l'un des grands noms de la danse moderne. D'autres historiens affirment que les premiers carrés se portaient dès la fin du 19e siècle - mais beaucoup plus discrètement. Pas évident de rompre avec des siècles de traditions réduisant la féminité à ses sacrosaints cheveux longs. Rares sont les Vénus aux tifs courts.

Une histoire de révolution(s)

Et si ces tifs se font populaires, ils n'en restent pas moins incendiaires. Car porter une coupe au carré, c'est aussi revendiquer son indépendance. Comme un pendant du pantalon, les cheveux courts se rapprochent des coiffures masculines et interrogent les injonctions à la féminité. Nombreux sont les spécialistes à percevoir en ce look une expression subversive de la liberté féminine. Pour The Fashion Folks, ce relâchement des tifs est analogue à l'abandon du corset. Le corps respire et s'éloigne des normes imposées par le regard des hommes.

Se pose dès lors la possibilité d'une autre féminité, émancipée des diktats et des codes patriarcaux. Une force justement revendiquée par les femmes de pouvoir, des plus grandes comédiennes aux figures politiques.

La coupe au carré magnifiée par Uma Thurman en 1994. © BAC Films

"Pour de nombreux conservateurs, l'apparition de ce genre de coupes signifiait - l'angoisse ! - que les femmes essayaient 'd'agir comme des hommes' en allant à l'encontre des rôles de genre traditionnels", ironise le média spécialisé Fashionista, qui perçoit en la coupe au carré l'arme idéale des "jeunes femmes rebelles" des années 20. Comme nous l'apprend d'ailleurs le média digital, la popularité de ce style émanerait également des pratiques des jeunes intellectuelles russes qui se coupaient les cheveux pour échapper aux forces de l'ordre. Malin.

On imagine donc sans le moindre mal l'aura rebelle de la chose. Il faudra attendre les années 60 pour qu'un héritier d'Antoni Cierplikowski actualise d'autant plus ce look : il s'appelle Vidal Sassoon, est britannique, et est considéré comme l'un des noms majeurs de la coiffure moderne. En se réappropriant la coupe "bob", il la rafraîchit, l'allonge, la rend à la fois asymétrique et élégante, en phase avec une décennie où tout semble plus libre et illimité. Cela nous donne donc la "coupe en cinq points", aussi surnommée "swinging bob". Ça balance !

Et parmi ses fières représentantes, de nombreuses mannequins et artistes, comme la créatrice de mode et couturière britannique Mary Quant, à qui l'on doit en partie la popularisation de la mini-jupe au cours de la même décennie, comme nous le rappelle le magazine Elle. "Il suffit de penser à ses coupes de cheveux et aux formes de celles-ci : Vidal a révolutionné le look et le mode de vie de tout le monde !", s'exclamera la créatrice à propos du maestro des ciseaux. De tout le monde, et notamment d'une gente féminine bien décidée à swinguer.

Des décennies plus tard, cette coupe n'a eu de cesse de se renouveler, du carré court de la princesse Diana aux looks so nineties de Winona Ryder. Aujourd'hui, la bob haircut fait office de style simultanément rétro (tendance Amélie Poulain) et atemporel (à l'image des actrices cultes des films de la Nouvelle Vague qui l'arboraient volontiers à l'écran). Comme un clin d'oeil amoureux à toutes les icônes qui ont pu la sublimer. Des silhouettes aux mouvements aériens (Cyd Charisse, Liza Minnelli), exprimant une féminité libre, plurielle et inspirante.

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