"Tes seins sont plus gros que ton visage"
Ce genre de remarques dignes de Paul Eluard, c'est ce que reçoit dans ses notifications "EmRata" alias Emily Ratajkowski, tous les jours. La mannequin et autrice a encore cassé la Toile en déployant quelques selfie sulfureux en bikini rouge sur son compte Instagram. Et fait beaucoup réagir, naturellement, mettant au coeur de tous les débats... Sa poitrine.
Seins jugés "trop gros", "parfaits", "obsédants", à propos d'une publication qui prend pourtant la forme d'un diaporama pas simplement "sexy". Mais ces réflexions, Emily Ratajkowski en a l'habitude... Entre deux publications sur la portée intime et politique de son corps et de sa sexualité, elle ne reçoit pas les hommages les plus distingués.
Et encore : les beaufs ici s'avèrent particulièrement de sortie.
Les "mecs en chien", omniprésents sur le film de l'influenceuse ?
C'est un doux euphémisme. Florilège du pire : "Y'a à manger", "Ils sont plus gros que d'habitude non ?", "Elle a fait une opération ?", "J'ai tellement zoomé", "Difficile d'être gay quand on voit ça", "Tu peux me faire ce que tu veux", "Tes seins sont plus gros que ton visage", "C'est la MILF la plus sexy au monde".
Entre deux gifs façon loup de Tex Avery et autres allusions très subtiles. Gifs impliquant des gestes lubriques, du lait, des réactions outrées de personnages de la pop culture... Et on vous épargne les formulations les moins gentlemen. C'est dire.
Et ce corps qui obsède, EmRata l'érige en symbole militant. Oui oui.
Oui, EmRata montre son corps sur les réseaux sociaux, à ses dizaines de millions de followers. En bikini, en lingerie, ou parfois, totalement dénudé. Mais son image, c'est aussi une partie de son expérience, de sa condition féminine, et de son éveil aux enjeux féministes. Quand bien même cela passe par le glamour, le sexy, le nu - comme dans les galeries d'art.
D'ailleurs, son livre, un manifeste féministe, justement, s'intitule : My Body. Mon corps.
Oui, la silhouette de top modèle d'Emily Ratajkowski correspond totalement aux diktats normalisés par la mode, le culte des régimes et les magazines féminins, et aujourd'hui, par les influenceuses, notamment sur Instagram. Pour bien des regards, il semble presque irréel, ce corps, tant il est archétypal : à la fois très fin et pourvu de formes qui confinent à une sorte de hyper sexualisation. On accuse volontiers "EmRata" de participer à cette hyper sexualisation qui vient généreusement flatter le regard des hommes, le fameux "male gaze", lui appliquant ses désirs.
Mais pour la principale concernée, cette sexualité, et ce corps, constituent une force, presque un langage. Fort du slogan féministe "L'intime est politique", EmRata, qui a dénoncé des violences sexuelles dont elle aurait été victime à l'époque du fameux clip Burried Lines, affirme dans son livre paru en janvier 2022 que son envie d'autonomie et d'épanouissement est indissociable de cette apparence hyper-médiatisée. Telles des chanteuses comme Cardi B ou Megan Thee Stallion, Emily Ratajkowski fait du "sexy" un pouvoir au sein d'une société patriarcale.
EmRata est-elle une "mauvaise féministe" ?
On a dédié une enquête entière à ce sujet.
Bien des femmes le pensent. Beaucoup de militantes ne sont pas du tout convaincues par son implication. Et par ses selfies incendiaires. Et pourtant, depuis des années, la mannequin envoie valser sexisme banalisé, misogynie des industries culturelles, rapports de force patriarcaux. "Hollywood est un endroit dégueulasse... Quand je faisais des films, jamais je ne me suis dit : 'Oh, je suis une artiste qui joue et c'est mon exutoire.'. Non. J'avais l'impression d'être un morceau de viande...", a-t-elle ainsi dénoncé auprès du Los Angeles Times.
Taclant en retour l'usine à rêves : "Tous ces hommes détestent les femmes ! A Hollywood j'avais l'impression que les gens me jugeaient et se disaient : 'Est-ce qu'elle a autre chose à proposer que ses seins ?... Et c'est peut-être pour ça qu'en ce moment je ne suis pas vraiment intéressée par les points de vue masculins. Parce que tout cela nous renvoie à des mensonges. C'est un monde foutu. Comme, Hollywood est foutu"... Je ne pense vraiment pas aux mecs ces derniers temps... Je travaille, je suis une mère célibataire !"
"Kim Kardashian et Emily Ratajkowski ne sont pas des féministes", titrait The Independent en 2016.
Vraiment ?
On a plutôt envie de citer l'autrice Roxane Gay, à qui l'on doit l'essai de référence "Bad Feminist" : "J'essaie de faire en sorte que mon féminisme soit simple. Je sais que le féminisme est compliqué, qu'il évolue et qu'il n'est pas parfait. Je sais qu'il ne résoudra pas tout et qu'il ne peut pas tout. Comme la plupart des gens, je suis pleine de contradictions, mais je ne veux pas non plus être traitée comme de la merde pour le simple fait d'être une femme", écrit-elle.
Et pendant que nous y sommes, ces mots d'une autre mannequin, française : Frédérique Bel. Qui assène dans ce témoignage à propos de ses nus audacieux pour Playboy : "Je crois que l'érotisme est un pouvoir que les hommes nous envient !. Je suis à l'aise avec mon corps, je le trouve plutôt joli, c'est un cadeau du Ciel, c'est aussi un instrument, quand on est actrice, mannequin lingerie... Si vous aviez mon corps vous feriez pareil !"