L'amour a ses raisons que la raison ignore. Et aussi, pour certain·e·s, un bon paquet de règles à suivre à la lettre. On en a découvert plusieurs en matant quelques rom-coms plus ou moins nullissimes et toxiques - notamment en ce qui concerne le sexe, et au bout de combien de rencards se foutre à poil devant l'autre - et ça nous est un peu resté en travers de la gorge.
Apparemment, à en croire la charte relationnelle érigée par dieu sait qui, il faudrait attendre trois rendez-vous galants avant de coucher pour espérer qu'il·elle veuille davantage de nous que notre corps (cul). Et ça ne s'arrête pas là. On devrait ensuite, dans l'ordre, se jurer exclusivité à un moment donné, présenter l'autre à ses ami·e·s, à sa famille, emménager ensemble, se marier, avoir des enfants. On cale l'acquisition d'un chien et d'un monospace au milieu, et nous voilà premier·e de la classe du fameux "escalator de la relation".
Bon, attention. Avant d'entrer dans le vif du sujet et de disséquer tout ce qui cloche avec cette notion, on insiste : il n'y a absolument rien de mal à souhaiter que sa vie se déroule de la sorte, ni à ce que son couple emprunte ce chemin précis. Bien que conventionnel, ce schéma codifié peut aussi incarner un repère rassurant, car potentiellement familier, tant que les deux personnes concernées s'y retrouvent.
Ce qui est problématique en revanche, c'est le fait de le considérer et de l'imposer comme seul modèle relationnel valide et valable. Ou quand pression et oppression ne font plus qu'un. On décortique pour vous le terme, ses conséquences et comment s'en affranchir.
Sur Urban Dictionnary, la bible de l'argot et des expressions populaires, la définition proposée aborde justement le diktat nocif qu'un tel archétype peut représenter. Pour l'une des utilisatrices du dictionnaire numérique, l'"escalator de la relation" reflète ainsi "l'attente sociale selon laquelle une relation romantique doit automatiquement suivre un ensemble d'étapes et mener au mariage, à la parentalité et à l'accession à la propriété", détaille-t-elle. La jeune femme explique également que le terme est principalement employé par celles et ceux qui voudraient en descendre, de l'escalator. Et piétiner ses marches normatives.
L'idée a d'ailleurs été conceptualisée par l'autrice Amy Gahran dans un ouvrage intitulé Off the Relationship Escalator, Uncommon Love and Life, qui adopte un point de vue relativement critique. L'experte y précise que "l'escalator est la norme selon laquelle la plupart des gens évaluent si une relation intime qui se développe est significative, 'sérieuse', bonne, saine, engagée ou mérite d'être poursuivie ou maintenue." A noter que par "gens", elle sous-entend à la fois les personnes internes et externes au couple en question.
L'internaute cite à son tour plusieurs exemples qui sont susceptibles d'enrayer "l'escalator", parce que pas toujours admis socialement. Et insiste elle aussi sur le regard extérieur et comment il façonne son mécanisme. "Si vous avez des relations sexuelles lors d'un premier rendez-vous, beaucoup de gens pensent que votre relation ne peut pas, ou ne devrait pas, devenir plus sérieuse par la suite. Si vous emménagez avec quelqu'un, le fait de déménager à nouveau signifie généralement que la relation est terminée. Être polyamoureux ou participer à d'autres formes de non-monogamie, c'est aussi ne pas monter à bord de l'escalator de la relation."
Tout ce qui revient à s'opposer à un plan de vie soi-disant parfait qui ne nous conviendrait pas, en somme, ou auquel on ne pourrait tout simplement pas prétendre pour des raisons économiques ou sociales. Car difficile de cocher la case "mariage" dans les pays ou l'union entre deux personnes de même sexe est interdite, d'investir dans une maison quand on ne gagne pas un salaire assez conséquent, ou de devenir parent quand c'est biologiquement impossible.
Et c'est exactement ce que pointent du doigts de nombreuses voix : le caractère excluant et stigmatisant d'un concept hétéronormé - disons-le - assez archaïque quand utilisé comme guide de conduite amoureux incontestable. Reste donc à savoir s'en libérer.
Dans un article pour le site américain Greatist, l'autrice et poétesse brooklynite Gabrielle Smith, qui écrit sur l'amour, le sexe, la santé mentale et l'intersectionnalité, évoque plusieurs façons de se délester de cette pression lorsqu'on la juge étouffante.
Elle s'inspire de sa propre expérience, s'estimant privilégiée. "J'ai toujours vécu ma vie ouvertement, mais tout le monde n'a pas cette chance. Mes parents ont accepté le fait qu'ils n'auront probablement pas de petits-enfants de moi. Ils ont accepté le fait que je suis gay et polyamoureuse. Je ne leur ai jamais donné la possibilité de faire autrement. Alors comment en suis-je arrivée là ?" En guise de réponse, la jeune femme énumère de précieux conseils.
Elle invite d'abord à accepter qui l'on est et son propre chemin de vie. "Une fois que vous avez fait ça, vous commencerez à vivre votre vérité", encourage-t-elle. Ensuite, elle avise fortement d'imposer ses limites. "Par exemple, si votre mère continue à vous poser des questions sur ses hypothétiques petits-enfants et que cela vous met mal à l'aise, dites-lui d'arrêter. Si elle continue à insister et que cela devient un problème, il est peut-être temps de reconsidérer à quel point vous voulez laisser ces personnes entrer dans votre vie." Ou en tout cas, de réfléchir à aborder avec eux·elles des discussions difficiles mais nécessaires.
Prochaine étape de cette "descente d'escalator" : s'entourer de personnes dont la vision du couple et de l'avenir en général est similaire à la nôtre. "Créer [notre] propre famille", en gros. Une communauté bienveillante qui valide sans hésitation nos décisions, quelles qu'elles soient (ou presque). "Tant que vous ne faites de mal à personne ni à vous-même, vos choix sont toujours valables !", rassure Gabrielle Smith. Et de conclure : "Une fois que vous vous libérez de l'idée de ce que devrait être votre relation, le monde entier s'ouvre à vous."
Une perspective illimitée et, pour le coup, inclusive et réjouissante.