Posons-nous la question deux secondes. Est-ce bien normal de faire le maximum pour reconquérir le coeur de son ex ? De foncer comme un dératé à l'aéroport le plus proche pour convaincre celle qui a dit "non" - quitte à rouler à contresens ? De se renseigner sur ses habitudes et ses goûts pour mieux l'envoûter ? De la poursuivre, d'épier ses pas, voire même, de la faire suivre ? Pas persuadé que notre réponse à tout cela soit positive. Pourtant, c'est ce que nous vendent les comédies romantiques américaines depuis des décennies, à grands coups de casting glamour, de musique pop, de décalages malicieux et de happy end rose bonbon. Et chaque année, l'on acquiesce.
Difficile à croire, tant l'attitude qu'adoptent ces gentlemen d'un jour et autres célibataires irrésistibles aux coiffures impeccables sent la toxicité à plein nez. Il faudrait peut être en finir avec les grandes règles d'amour des "rom'coms" - qui trop souvent se dictent en faveur des mecs les plus relous. Vous en doutez encore ? Intéressons-nous donc aux six grands garçons parmi les plus angoissants que la comédie romantique ait pu nous offrir.
Le pitch : Les choeurs angéliques des Beach Boys, la Jamaïque, les jolies filles en bikini, l'apéritif vingt-quatre heures sur vingt-quatre comme politique locale. Le quotidien du barman Brian Flanagan a un goût de paradis. Mais sa rencontre avec la charmante Jordan Mooney va quelque peu bousculer les choses. Il va la séduire, l'aimer, la perdre. Et, à force de verres vidés, de philosophie de comptoir et d'acharnement, la retrouver.
Le mec : Grande gueule, joli minois et bagout. Pas de doute, Brian Flanagan est bel et bien le Tom Cruise des années quatre-vingt : celui, frimeur et tombeur, de Top Gun. Dans Cocktail, il est également alcoolique. Et matérialiste - il veut être riche, et c'est tout. Traite une collègue serveuse de "pute". Joue de l'argent contre ses plans-drague. Va parfois voir son père, qui se targue de coucher avec "toutes les veuves du quartier". Et s'acoquine d'un mentor tout aussi alcoolique l'invitant à tomber le plus de filles possible. L'amour, le vrai, il l'obtient finalement en insistant. Beaucoup. Quitte à en venir aux mains avec le père de sa propre copine.
Voici le premier commandement des comédies romantiques : un "non" n'est jamais un "non" tant que l'on n'a pas suffisamment insisté. Voir "la fille". La suivre. Se rendre à son lieu de travail. Faire un scandale en public. Rien ne doit vous arrêter. Un grand lover est un grand forceur. Et si elle ne dit pas "oui", c'est que vous devez encore essayer, jusqu'à l'épuisement - ou le coma éthylique. La dimension pathétique de Flanagan - de ses jonglages de bouteilles à ses ivresses - ne fait que surligner l'incongruité totale de ce dogme du grand romantique.
Le cousin éloigné : Dans le style Casanova discount pour accrocs à Meetic : Hitch, l'expert en séduction - et en métaphores vaseuses - du film éponyme. Il guide les aveugles sur le chemin de l'amourette chic. Les femmes pour lui s'apprivoisent, comme des animaux de compagnie. Il suffit d'observer leurs gestes, l'intonation de leur voix, leur position dans l'espace, leur regard. Et si la belle ne craque pas ? Aucun problème : il ne reste plus qu'à se jeter sous les roues de sa voiture (véridique). De toute façon, si elle affirme préférer sa carrière, "elle ment", affirme-t-il. Mais Tom Cruise et Will Smith sont drôles et sexy, alors pourquoi leur en vouloir ? Cependant, ne vous fiez pas à leurs maladresses : ils se pensent tout simplement invulnérables. Car dans leur tête résonne cette logique dictée par The Atlantic : "Dans un monde où 'non' signifie 'oui', la seule question n'est pas de savoir 'si', mais simplement 'quand', la femme cédera". Amen.
Le pitch : Le pas très séduisant Patrick Verona s'est engagé dans un marché. Il doit tout faire pour sortir avec Kat Stratford. Seulement voilà : Kat Stratford déteste la patriarcat, vénère La femme mystifiée, écoute du Joan Jett à bloc. C'est une ado sarcastique qui ne sourit jamais et fait peur aux mecs. Bref, n'ayons pas peur des mots...Kat est une féministe.
Le mec : Heureusement, cela n'empêche pas Patrick d'accomplir sa mission. Entre autres choses, en s'aidant d'informateurs à même de lui en dire plus sur ses goûts persos - oui, Facebook n'existe pas encore. En la stalkant (la base de la romance), en misant sur le fait - jamais ultra-positif, sauf dans les roms coms - qu'il y a toujours pire que lui, et, cerise sur le gâteau, en organisant une spectaculaire fanfare devant des dizaines d'étudiants sur fond de I love you Baby. Un happening qui gênerait n'importe qui. Ce n'est pas l'avis d'une Kat métamorphosée qui par miracle trouve cela magique. Si les intentions de Patrick Verona ne sont pas forcément mauvaises (il l'aide lorsqu'elle est ivre, l'invite à explorer sa fibre musicale), force est de constater qu'à la fin, Kat Stratford n'est plus vraiment la même. Elle n'a plus en elle cette Fuck You attitude et cette poigne. Elle n'est plus qu'une teenager comme les autres. C'est son âme qui s'est envolée.
"L'amour c'est bien, mais le respect des autres aussi. Nos héros romantiques préférés revendiquent-ils 'le respect des autres' ? Ou sont-ils des sociopathes égocentriques avec un ego aussi massif qu'ils se sentent en droit de se faire plaisir au détriment des autres ?", se questionne NME.com. Dans le cas de Dix bonnes raisons de te larguer, le respect de la singularité féminine importe peu. Car une femme amoureuse est toujours moins reloue qu'une féministe, semble démontrer Patrick. Mais ce n'est pas si grave. Car le Don Juan est parvenu à fédérer une fanfare pour sa douce, vous vous rendez compte ? Une fanfare ! Il faut croire que dans un univers alternatif qui ressemble de très près aux Enfers, la protagoniste sarcastique et féministe de Daria a épousé un quaterback. Et dans un monde parfait, Patrick s'est enfin procuré une bouteille de shampoing. Rêvons un peu.
Le cousin éloigné : Zack Siler (Freddie Prinze Jr.) dans Elle est trop bien. S'appeler Zack n'est pas le moindre de ses défauts. Ce beau gosse de bahut joliment antipathique n'a qu'un but : transformer la Bête en Belle. Celle-ci s'intitule Laney et est incarnée par Rachael Leigh Cook. C'est une artiste, une marginale. Rien de très glamour donc. Heureusement, Lany finit par retirer ses lunettes. Et, surprise, elle est canon ! Tout à fait disposée à convenir à l'étudiant le plus populaire du lycée. Car aimer une personne, c'est avant tout faire en sorte qu'elle vous corresponde. Quitte à lui forcer un peu la main. Vous ne saviez pas ? Hollywood est là pour vous l'apprendre. Et l'affiche de l'affirmer : "il ne l'avait pas remarquée, il ne pourra pas l'oublier". Béni soit Zack, qui nous rappelle que la véritable beauté est extérieure.
Le pitch : Aussi candide et drôle que brillante, Kathleen Kelly (Meg Ryan) tient la librairie The Shop Around The Corner. La boutique de sa mère - et qu'elle compte bien léguer à sa propre fille. Pas de chance, l'impitoyable Joe Fox (Tom Hanks) débarque avec son magasin Fox Books, une bouquinerie version supermarché. Dans la vraie vie, ils se détestent. Mais sur le web, ils s'envoient des mails très mignons. Quelle sera la réaction de Kathleen lorsqu'elle apprendra le nom de ce mystérieux interlocuteur ?
Le mec : Réponse : fondre en larmes et lui tomber dans les bras. Amusante réaction, quand on sait - nous, spectateurs - que Joe Fox l'a forcée à mettre la clef sous la porte, a ruiné ses rêves et sa carrière professionnelle, et s'est jouée d'elle des mois durant - en tant qu'anonyme et à vive voix. Car Fox découvre la vérité assez tôt mais préfère s'amuser avec sa proie et l'humilier régulièrement - après lui avoir posé un affreux lapin. Après tout, il s'en fiche : elle est au chômage, mais lui, il a un bateau. Sa roublardise, il la conserve du début à la fin. Et c'est grâce à celle-ci qu'il remporte quelque chose de plus beau encore que ses principales passions (son chien, les Starbucks, le New Jersey, Le Parrain) : un baiser de Meg Ryan. Pour le mérite, on repassera.
Joe Fox se gave de caviar dans les buffets gratuits, déteste les chansons de Joni Mitchell et Jane Austen. Bref, c'est un crétin. "Un minable petit minus qui a minimisé mon existence", dit même de lui Kathleen. Elle a raison. Car les comédies romantiques nous apprennent que l'amour - oui, "l'amour, le vrai" - est plus précieux que la carrière professionnelle des femmes. L'espace d'un billet Medium, Bethany Crystal nous démontre, enquête à l'appui, que les femmes dans les comédies romantiques ont juste droit à un statut inférieur ou à une "dynamique de pouvoir" plus implicite que leurs homologues masculins. "Ces films font la promotion des 'filles à poigne' et de leur indépendance [...] et elles sont censés être nos modèles. Mais dans l'ensemble, ces personnages semblent mettre un frein à leurs ambitions personnelles, préférant poursuivre des hommes qui ont plus d'autorité qu'elles" déplore l'autrice. "Dans les affaires, il faut se battre à mort", écrit Joe Fox par mail. Quitte à pulvériser la concurrence féminine. Et oui. Joe Fox, lui, ne perd pas son job. Ni son bateau.
Le cousin éloigné : Dans le genre "on nous prend vraiment pour des truffes" : le Henry Roth de Amour et Amnésie vaut aussi son pesant de cacahuètes. Incarné par Adam Sandler, ce collectionneur d'amours d'un jour partage avec Joe Fox un goût prononcé pour la manipulation sentimentale. Et lui aussi va profiter d'une forme d'anonymat pour conquérir sa douce. Celle-ci, Lucy Whitmore (Drew Barrymore), souffre d'amnésie. Rien de mieux pour reconfigurer au fil du jour le scénario parfait. L'amoureux est un comédien qui se joue d'une malade en se disant qu'il n'y a rien de mieux pour déclarer sa flamme. La drague n'est rien d'autre qu'une partie de jeu vidéo : game over, try again. Là s'énonce un enjeu fondamental des rom coms : le mensonge n'est pas une option, il est simplement nécessaire. Car peu importe de mentir, du moment que l'amour est sincère. Beau comme du Musso.
Le pitch : Noël est une saison merveilleuse. Des histoires s'écrivent et d'autres s'achèvent. Veuvage et relations éphémères, amour de vacances et séduction(s) de bureau. Et puis, il y aussi ce mec qui vous filme en gros plans extrêmes durant votre mariage, conserve la VHS bien au chaud chez lui pour les trop longues soirées d'hiver et vient même vous draguer avec des pancartes au seuil de votre porte. Lui, c'est Mark.
Le mec : Mark (Andrew Lincoln) est le meilleur ami de Peter. Pas de chance, il tombe amoureux de sa compagne, Juliet (Keira Knightley). Dans son malheur, il parviendra à lui voler un baiser avant de se dire que, quand même, "ça suffit". Abondamment détournée par de facétieux internautes, la séquence où Mark confesse ses sentiments en alternant les écriteaux - chants de Noël en fond sonore - illustre par excellence le paradoxe des comédies romantiques : la passion enlace le malaise, la mignonnerie le #creepy. Mais bien pire est l'instant où Juliet découvre que Mark n'a d'yeux que pour elle. La déclaration d'amour de ce dernier est à ce point traversée de gros plans qu'elle ressemble davantage à un film porno qu'à une vidéo de mariage. N'importe qui prendrait ses jambes à son cou. Mais Juliet n'est pas comme ça.
Son cousin éloigné : Mark est un cinéaste de pacotille, mais il y a pire : un acteur de pacotille. Dans le genre, difficile de trouver plus effrayant que Daniel Hillard, alias Mme Doubtfire. Un mec qui pour racheter l'amour de sa femme et de ses gosses va se faire passer pour un nounou so british. Merveilleux, non ? Si vous trouvez cela marrant, visionnez donc ce judicieux montage du film en version film d'horreur. Cela devrait vous soigner à vie. Mais Hollywood n'a jamais fini de célébrer l'audace masculine. Quitte à ignorer l'attitude sensée de celles, plutôt passives, qui sont censées l'approuver. "Pour être un personnage toxique, il faut avoir un effet négatif sur le héros ou l'héroïne - c'est le critère principal. Mais les personnages masculins toxiques ont aussi tendance à avoir des idées rétrogrades sur la romance, l'amour et les femmes", nous rappelle Bustle. Banco !
Le pitch : Un chroniqueur ouvertement misogyne de USA Today consacre l'un de ses articles à Maggie Carpenter, une jeune femme réputée pour s'enfuir dès qu'un conjoint lui met la bague au doigt. Cette dernière crie à la calomnie. Ike Graham est donc licencié, mais ne compte pas s'arrêter là. Son lifegoal ? Assister à la prochaine fuite de l'épouse non-apprivoisée, et, ce faisant, à son futur désespoir amoureux, pour démontrer qu'il a raison. Ah, les grandes vertus de la fierté masculine...
Le mec : Par-delà ses réflexions quelque peu limites sur les "croqueuses d'hommes", Ike Graham est un as du stalking qui ne recule devant rien : le chantage, l'humiliation, la perversité, l'intrusion (dans le village, l'entourage, la famille de sa cible). D'un côté, c'est normal qu'il s'implique autant : il est journaliste. Peut être, mais son intention première, elle, éclot d'une réalité qui n'a pas grand-chose à voir avec l'éthique de la profession. Une femme (une femme, vous vous rendez compte ?) a osé lui faire perdre son travail - une petite révolution dans le monde des comédies romantiques. Et Ike Grahem doit affirmer sa supériorité coûte que coûte.
Que le fruit ultime de cette vengeance aboutisse à une union (pas si) inattendue avec "celle qui ne voulait jamais se marier" n'en est que plus réjouissant pour lui. Il a su voler son indépendance et "caser" la mariée intouchable. Comble du comble, Maggie Carpenter s'excuse, mais lui, non. Encore une fois, on ne manipule jamais trop si l'on gagne à la fin. "Pour la plupart, les personnages masculins toxiques des comédies romantiques sont ceux que la fille rejette en faveur d'une meilleure offre, mais parfois les mecs de rêve - ceux avec lesquels la fille est censée se retrouver à la fin du film - se révèlent être les plus toxiques de tous", déclare Bustle. A juste titre.
Le cousin éloigné : Edward Lewis (Richard Gere) dans Pretty Woman. Ne serait-ce que pour la vague ressemblance physique. Mais pas seulement. Lewis est un golden boy désenchanté qui s'éprend de Vivian, une prostituée pleine d'irrévérence. Lorsque la liaison s'envenime, il s'offusque : "Je ne t'ai jamais traitée comme une prostituée !". Curieuse excuse, convenons-en. Et puisqu'il n'a pas connu son père, Edward fera en sorte de se faire chouchouter (dans son bain, notamment) par une Vivian qui, plus que jamais, incarne ce précepte cher à Hollywood de "la maman et la putain". Lewis est un homme d'affaires qui, bien conscient qu'il a le dessus (argent oblige) aime être materné. Pas très sexy. Dans la catégorie "vieux beau" définitif qui fait tomber filles, mères et grands-mères en un claquement de doigt, Richard Gere, lui, n'a pas son pareil.
Le pitch : Ted est un loser. Il n'a jamais pu oublier Mary, son amour de jeunesse. Afin de la retrouver et de renouer la lien, il va engager un détective privé. Ce que n'importe quel homme bienveillant ferait. FAUX.
Le mec : Ce que dévoilent - avec beaucoup de jubilation - les frères Farrelly dans ce film déjanté est cette éternelle ambiguïté des comédies romantiques, énoncée par The Atlantic : "la distinction qui existe entre le terrifiant et le romantique". Une frontière ténue. Sur le plan psychanalytique, Ted est un cas d'école. Traumatisé par un accident d'adolescence, amoureux obsessif, manipulateur catastrophique... Heureusement, encore une fois, il y a pire que lui. Comme l'énonce le blog NME, une étude récente de l'Université du Michigan révèle "que les femmes qui regardent des comédies romantiques sont plus susceptibles d'accepter un comportement masculin qui, si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, constitue du harcèlement criminel". Mais pas certain que l'on aimerait tomber dans les bras du très névrosé Ted.
Le cousin éloigné : Jeffrey Dahmer. Oui oui, le tueur en série Jeffrey Dahmer, comptant à son palmarès démembrements, nécrophilie et cannibalisme. Nombre de romances, avance The Atlantic, devraient passer le test dit de "Dobler-Dahmer" (inventé par Ted Mosby, le protagoniste de la série How i met your mother). Dans Un monde pour nous, le personnage de Lloyd Dobler (John Cusak) se pointe à la fenêtre de sa bien-aimée en lui faisant écouter du Peter Gabriel. En pleine nuit et à fond. Quelle différence entre cette insistance et une pathologie à la Jeffrey Dahmer ? La considération de cette action par autrui comme un "geste romantique" nous répond-on. Car sinon, "ce geste serait effrayant, menaçant et affreux". Dans Mary à tout Prix, Ted est pris pour un tueur en série suite à un abominable quiproquo. Un gag - furieusement drôle. Mais surtout une manière de nous dire qu'engager un détective privé - tout aussi cintré - pour épier un amour de jeunesse ne fait pas de vous un gentil loser trop mignon et maladroit. Non, cela fait de vous un psychopathe. A bon entendeur.