Instagram a la censure facile, mais surtout, la censure ciblée. Arguant qu'Apple l'oblige à effacer toute trace de nudité sous peine d'interdire l'application au moins de 17 ans, Kevin Systrom, le directeur général d'Instagram, se voit donc obligé de mettre en place des restrictions strictes. Sauf qu'à s'y approcher de plus près, la défense de Systrom ne tient pas. Le mouvement #FreeTheNipple l'a démontré maintes et maintes fois. Si les tétons féminins n'ont pas le droit de cité, les torses nus de ces messieurs sont évidemment bienvenus. Instagram ne s'arrête pas aux innocents mamelons, allant jusqu'à bannir les poils pubiens ou le sang des règles, des choses naturelles et liées intrinsèquement au féminin. Plus que la nudité, c'est donc bel et bien le corps de la femme – quand celui-ci n'entre pas dans certains stéréotypes de beauté – qui est traqué.
Parce qu'Instagram ne sait pas faire la différence entre vulgarité et art, parce qu'il en vient à censurer tout et n'importe quoi (un gâteau ressemblant vaguement à un sein par exemple), parce que les personnes qui utilisent le réseau pour exprimer leur créativité sont brimées, deux jeunes femmes talentueuses ont eu l'idée de faire un pied de nez au réseau social en réunissant dans un livre un nombre important de clichés bannis. Intitulé Pics or it Didn't Happen : Images Banned from Instagram, l'ouvrage est le travail d'Arvida Byström et Molly Soda, deux artistes, deux féministes, deux femmes qui ont fait les frais de la politique répressive d'Instagram. En introduction de leur livre, elles écrivent :
"Quand Instagram supprime une image de notre compte, cela rend l'image en question encore plus importante à nos yeux. Peut-être parce que nous passons du temps à penser à elle. Parce que les réseaux sociaux sont perçus comme éphémères, nous avons pris le temps de compiler, de modifier et d'imprimer physiquement ces photos perdues pour leur donner plus de pouvoir, leur laisser prendre toute la place. (...) Nous avons lancé un appel pour récolter des photographies, et nous avons rapidement remarqué que les images censurées l'étaient souvent pour les mêmes raisons : parties génitales, fesses nues, tétons de femmes, sang des règles, du liquide pouvant rappeler le sperme ou des sécrétions vaginales, des poils pubiens. Le livre a donc évolué en une conversation sur les corps – spécialement autour des corps perçus comme 'dangereux' ou 'sûr'. Par exemple, si vous postez deux photos de deux personnes différentes portant un maillot de bain, que l'une des personnes est épilée et que l'autre à des poils pubiens, c'est la photo des poils pubiens qui sera probablement retirée. Cette suppression, cet effacement de certaines images en dit long sur ce qui est vu comme acceptable et normal par la culture contemporaine".
Pour mettre au point leur ouvrage, Arvida Byström et Molly Soda ont proposé à leurs 207 600 followers de leur envoyer leurs images censurées. Elles ont récolté des photos d'autres artistes très actives sur Instagram, comme Petra Collins, Rupi Kaur, Amalia Ulman, Harley Weir et Lina Scheynius. Des clichés complétés par ceux d'autres artistes moins reconnus. L'idée des deux jeunes femmes ? Mettre de côté les images violentes et pornographiques pour se concentrer sur des photographies et montages délivrant un véritable message artistique. Des clichés, qui si ils mettent en avant des corps nus (ou pas d'ailleurs) ou sexualisés, ne méritent en aucun cas la censure.
Pics or it Didn't Happen est plus qu'un simple livre de photographies, c'est une déclaration féministe, une invitation à découvrir le corps féminin (et parfois masculin) tel qu'il est vraiment, imparfait, étrange, sublime.
Pics or it Didn't Happen : Images Banned from Instagram, ed. Prestel, 300 pages, 25 euros sur Amazon