Comme tout courant de pensée, le féminisme peut s'exprimer aussi bien par des mots et des actions qu'à travers divers procédés artistiques. Pas besoin d'aller sur le terrain et de mener une guerre physique contre le patriarcat tous les jours pour avoir un impact sur les mentalités. Il suffit parfois d'un appareil photo ou d'une caméra pour délivrer un message tout aussi important.
C'est le combat de certaines féministes, disséminées un peu partout sur cette belle planète, qui s'arment de leurs outils d'artistes pour tenter de changer notre perception du corps féminin, des normes et des tabous qui les entourent. Au premier coup d'oeil, si vous n'avez pas l'habitude, certaines images peuvent surprendre - voire choquer - mais il suffit de gratter un peu la surface et de se demander pourquoi ça nous choque tant et pourquoi elles tiennent autant à montrer ces différentes fonctions du corps humain pour en saisir l'importance.
Par exemple, depuis quelque temps, la parole se libère petit à petit concernant les règles. On se pose des questions de santé, d'abord, mais aussi de représentation. Pourquoi les règles sont-elles si taboues ? Pourquoi crie-t-on aussi facilement au scandale lorsqu'on aperçoit une tache de sang menstruel, ou même un tampon, un serviette ou une coupe propres ? Pourquoi a-t-on encore le réflexe de cacher à tout prix ce processus pourtant si naturel, qui signale le bon fonctionnement d'un corps pourvu d'un utérus en état de marche ?
Certaines artistes ont donc décidé de se pencher sur le cas des menstruations pour exprimer un message fort et essentiel : les règles n'ont rien de sale ou de honteux, et ne devraient pas être censurées. L'artiste Rupi Kaur a d'ailleurs réussi à faire parler d'elle et de son art grâce à la censure d'une de ses photos montrant une femme au pantalon taché de sang en mars dernier. Extrait de la série "Period." dans laquelle elle explore le quotidien des femmes menstruées à travers quelques photos, ce cliché avait été supprimé d'Instagram et avait ensuite fait le tour des médias reprenant l'info, contournant ainsi la censure en l'utilisant pour se propager encore plus vite.
Depuis, la censure a été levée et Rupi a pu reposter la photo sur son compte Instagram.
Elle en a profité pour remercier Instagram de lui avoir permis de prouver ses dires et l'importance d'un tel projet en ayant la réaction que son travail a été créé pour critiquer.
Mais avant ça, il y avait déjà eu la séance photo There Will Be Blood de l'artiste Arvida Byström, publiée sur Vice en mai 2012. Là encore, rien de vraiment très provocateur - on y voit des femmes dans des scènes parfaitement banales du quotidien avec une culotte tachée ou un filet de sang le long de la cuisse. Ces photos n'ont rien d'obscène ou de gore, il ne s'agit pas de s'étaler son sang menstruel sur le visage pour aller terroriser les villageois - simplement de le banaliser, de le rendre ordinaire, d'en faire quelque chose de parfaitement normal, un détail dans une scène quotidienne.
Aujourd'hui, Arvida Byström se spécialise dans les photos innocentes aux tons pastels, mettant en scène des jeunes femmes et des détails de leur vie dans un environnement épuré et innocent.
Autre particularité des photos d'Arvida Byström : la présence de poils, notamment aux aisselles. De plus en plus de jeunes féministes de cette nouvelle vague se dirigent vers une réappropriation totale du corps et un retour au naturel. De fait, elles laissent pousser leurs poils librement et affichent sans complexe leurs aisselles, jambes et pubis non-épilés. Ce qui leur permet non seulement de reprendre le contrôle de leur image, mais également de faire des économies de temps, d'argent et de souffrances inutiles en cessant de s'infliger la torture de l'épilation. C'est aussi un bon outil pour faire le tri autour de soi et dans sa vie amoureuse : si qui que ce soit se retrouve rebuté par une telle vue, il n'aura qu'à passer son chemin, son avis n'est pas désiré et sa présence non plus.
C'est ainsi que la jeune photographe de 22 ans Petra Collins a également découvert les dures lois de la censure sur Instagram. En 2013, après avoir vu une de ses photos se faire censurer puis lui coûter son compte, Petra Collins a publié un témoignage sur le site du magazine Oyster intitulé "Pourquoi Instagram a censuré mon corps".
La raison de la censure ? Une photo de Petra en bas de bikini, avec poils pubiens vaguement apparents, portant le hashtag #bikini. En cliquant sur le hashtag, encore aujourd'hui, on se retrouve face à des millions (littéralement) de photos du même genre, qui ne risquent pas d'être censurée - parce qu'aucun poil n'est visible.
Elle racontait alors :
"Mon compte Instagram a récemment été supprimé. Je n'ai rien fait allant à l'encontre des conditions d'utilisation. Pas de nudité, de violence, de pornographie, rien d'illégal ou de haineux ou d'imagerie transgressive. Ce que j'ai fait, c'est poster une photo de MON corps qui n'allait pas dans le sens des standards de "féminité". L'image que j'ai postée représentait mon bas de bikini sur un fond scintillant. Contrairement aux 5 883 628 (c'est actuellement le nombre de photos sous le tag #bikini) photos sur Instagram, la mienne montrait mon état inchangé - un maillot non épilé. Jusqu'à maintenant, j'avais évidemment ressenti la pression de réguler mon corps mais je n'aurais jamais cru la vivre."
Une fois de plus, la censure de cette photo montre à quel point notre société est hypocrite. Le corps de la femme peut être montré et exhibé sous toutes ses coutures à condition qu'il remplisse un certain nombre de critères de sélection et qu'il n'ait pas l'audace d'en sortir. Défier la norme, c'est s'exposer à la censure, aux injures et aux menaces.
Heureusement, de nombreuses personnes militent ardemment pour permettre aux femmes de retrouver le contrôle de leur corps et de leur image, afin que l'on puisse d'abord apprendre à s'aimer telle que l'on est, mais que nous n'ayons plus peur de le montrer, sans jamais se cacher, sans craindre de réprimandes, et sans souffrir d'une quelconque forme de pression sociale. Que vous soyez dans la team poils ou sans poils, et que vous ayez envie de parler de vos règles ou non, l'important, c'est d'avoir le choix et de laisser chacune faire comme bon lui semble sans la montrer du doigt pour autant.
La route est encore longue, mais grâce à des femmes comme Rupi Kaur, Arvida Byström ou Petra Collins (et les centaines d'autres qui existent, fort heureusement), nous avons quelques armes contre l'obscurantisme et l'oppression, qui n'ont rien de violent ou d'agressif et qui nous permettent de jeter un regard nouveau sur le monde, les corps des autres et le nôtre.