Dan et moi peignions la chambre d'amis, pendant que notre première fille faisait la sieste, le jour où j'ai découvert que j'étais le parent par défaut. Quand elle s'est mise à pleurer, l'idée ne lui est pas venue une seconde de s'interrompre pour aller la prendre dans ses bras. A l'époque, nous travaillions tous les deux dans le monde des affaires, et nous avions ce projet commun à la maison. Nous étions en position d'égalité, sauf que j'avais porté et nourri notre fille pendant neuf mois, ce qui aurait dû me donner des points d'avance dans la catégorie « celui des deux qui peut souffler un peu ». Je me suis dit qu'il fallait revoir les choses.
Quatorze ans plus tard, je suis toujours le parent par défaut. Etant donné que je travaille aujourd'hui de chez moi à mi-temps en tant que consultante indépendante, ça paraît un peu plus logique, mais je trouve toujours ça révoltant. Maman, maman, maman, maman, maman, maman, maman, maman, maman. Toute. La. Journée. Je m'occupe de nos trois enfants : les inscriptions aux activités extrascolaires, les trajets à prévoir, les rendez-vous chez le médecin et le dentiste, les problèmes avec les amies et les amoureux, les petits chagrins, les tombolas à l'école, les cadeaux à prévoir, les coupes de cheveux, les vêtements à acheter et les notes de remerciement qui, soit dit en passant, sont une invention maléfique. Je m'occupe aussi d'organiser le contenu des tiroirs en fonction des saisons. C'est une tâche ingrate que celui qui n'est pas le parent par défaut ne soupçonne même pas.
Les parents par défaut connaissent le nom de tous les profs de leurs enfants. Ils n'arrêtent pas de remplir des formulaires, y compris l'acte notarié de vingt pages autorisant leur progéniture à faire du sport à l'école, et le pacte de sang par lequel ils acceptent de ne pas engager de poursuites si leurs enfants sont victimes d'une commotion cérébrale, ce qui arrivera forcément. Ils écoutent patiemment des explications sans intérêt sur des tournois de gym complètement absurdes. Ils n'arrêtent pas d'épeler des mots. Ils savent s'il y a du papier cadeau à la maison. Les parents par défaut n'ont pas d'agenda personnel mais ils connaissent les dates de tous les événements familiaux, et ça leur donne le vertige. Ils achètent des cartons toilés par blocs de dix. Ils ont fait des efforts admirables pour bien s'entendre avec la dame de l'accueil à l'école. Ils connaissent toutes les tailles de leurs enfants, même pour les chaussures, alors bon !
Au passage, ce blog ne cherche nullement à établir un classement entre mari et femme. Mon mari contribue davantage au budget familial, tond la pelouse et tue les araignées, ce qui occasionne tout autant de stress et de mécontentement, et il est parfaitement libre de tenir un blog là-dessus. C'est aussi un père et un mari extraordinaire. Mais, à ma décharge, la pelouse et les araignées ne disent pas « maman » cent fois par jour, et son patron ne part pas en vacances avec nous. Je dis ça, je dis rien. Il serait d'ailleurs le premier à reconnaître qu'il s'en tire mieux que moi. Il fait la grimace quand je commence à faire la liste de tout ce que je gère. Il m'aide beaucoup mais, en termes de logistique et de tâches administratives, il est le parent de secours.
Il existe une différence notable entre le parent par défaut et le parent de secours. Lily a des cours de modern jazz le lundi soir. Je sais que quelqu'un l'y conduira et la ramènera, même si Gracie fait du tennis pile au même moment. La logistique, c'est pour moi. Pas de problème. Je gère. Parfois, Dan m'appelle pour me proposer un coup de main. Ses coups de fils commencent invariablement par : « Le cours de modern jazz de Lily, c'est jusqu'à quelle heure ? » J'ai déjà envie de le frapper. C'est TOUJOURS au même horaire ! Et pendant qu'il me demande du bout des lèvres s'il peut m'aider, je suis en train d'expliquer à mon fils en pleurs comment faire sa soustraction (un problème fréquent quand on est en CE1), de préparer le dîner (oui, bon, de faire bouillir de l'eau pour les pâtes), et d'écrire un dernier mail pour le boulot. Il arrive donc que les horaires de travail, ou de jogging, de Dan lui permettent de passer devant l'école de danse de Lily au moment précis où son cours se termine. Ca m'aide ? Oui. Ca fait de lui le parent par défaut ? Non. Les parents par défaut ne s'organisent pas en fonction des hasards du calendrier.
Etre le parent par défaut ne veut pas dire, du moins en ce qui me concerne, que mon mari est un gros égoïste mais que les enfants ne se préoccupent pas de ce que l'on est en train de faire quand ils ont besoin d'aide. Ils vont voir le parent par défaut. En l'occurrence, moi. Il m'est déjà arrivé d'attacher le collier de ma fille alors que j'étais sous la douche. Elle a traversé notre chambre, sans faire attention à son père, et elle s'est adressée à moi. Véridique. Même mon mari s'est dit : « Eh, ho, j'existe ! » Le nombre de douches que j'ai pu prendre sans être dérangée par un de mes enfants se compte sur les doigts d'une main. J'ai gonflé des ballons sous la douche, défait des lacets, posé un pansement, signé un bulletin trimestriel, et fait des tresses à mes filles. Oui, oui, je sais... Il suffirait que je ferme la porte à clé. Je suis bien gentille. Mais ils finiraient par creuser un tunnel, j'en suis sûre.
Oubliez l'autoroute de l'information. Les parents par défaut sont ce qui se fait de mieux en matière de collecte et de récupération de données. Sans le savoir, nous nous promenons chez nous en repérant l'endroit où se trouve chaque chose. Quand nous voyons un bandeau par terre dans la salle de bains, nous en prenons bonne note, ce qui sera utile pour désamorcer une crise d'adolescence. Un jour que j'étais en déplacement professionnel en Californie, j'ai reçu un coup de fil me demandant où étaient les baskets de George. Le pire, c'est que j'avais la réponse. La quantité d'informations enregistrées dans le cerveau du parent par défaut est proportionnelle aux nombre de verres de vin qu'il ou elle se sert après une dure journée. Il y en a beaucoup.
Ce qui est le plus troublant, c'est qu'aucune échappatoire ne semble envisageable pour le parent par défaut. Il ne s'arrête jamais, sauf s'il est physiquement éloigné de sa famille... et qu'il jette son téléphone au fond d'un lac. Même quand il prend un week-end pour se reposer, il laisse une feuille de route
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