Devant son écran, elle s'excuse : son adorable (et très instagrammable) petit chien Yeti jappe juste à côté. Au loin, on entend les sirènes des voitures de police new-yorkaises. Impossible de deviner que la jeune femme posée au sourire timide qui nous fait face sur Zoom a été biberonnée aux paillettes et grandi sur les plateaux de ciné, qu'elle appelle affectueusement Robert De Niro ou Leonardo DiCaprio ses "tontons", qu'elle est la fille de l'un des plus grands cinéastes de tous les temps. Et c'est tant mieux. Car si elle est née sous une belle étoile (hollywoodienne), Francesca Scorsese, 21 ans, semble bien déterminée à transcender son patronyme. Sortir de cette ombre paternelle adorée mais forcément écrasante. Et se faire un nom à elle.
Repérée sur Instagram par une directrice de casting, l'étudiante en cinéma à la New York University a eu de la veine (encore une fois) : c'est en effet devant la caméra de Luca Guadagnino (réalisateur du merveilleux Call Me By Your Name) qu'elle fait ses premiers pas d'actrice. On a vu pire. Et comme il fallait s'y attendre, ce We Are Who We Are, immersion contemplative parmi les "kids" paumés des militaires d'une base américaine en Italie, est un bijou de poésie, ode à l'adolescence dans tout ce qu'elle a de vibrant et de chaotique.
C'est là, sous la douce lumière de la Lombardie, que Francesca la comédienne a joliment éclos, endossant avec un naturel déconcertant le rôle de Britney, ado décomplexée aux cheveux roses qui fraie avec sa bande de potes en quête de liberté, de sexe, de défonce et d'amour. Un personnage libérateur, qui l'a convaincue de poursuivre ses projets artistiques devant et derrière la caméra.
Nous avons parlé avec Francesca Scorsese de représentation, du sexisme dans l'industrie du film et de sa prestigieuse filiation dont elle essaie de s'affranchir.
Francesca Scorsese : Je suis encore à l'université où j'engrange tout ce que je peux. Et jusqu'à présent, je me concentrais surtout sur la réalisation, sur mes courts-métrages. J'avais déjà eu quelques petits rôles dans des courts. Mais rien d'aussi important que We Are Who We Are. Lorsque la directrice de casting m'a contactée, elle m'a d'abord fait auditionner pour un autre film. Je n'ai pas décroché le rôle et c'est tant mieux car car deux semaines plus tard, j'auditionnais pour le rôle de Britney et... la suite, nous la connaissons.
Ce rôle de Britney a-t-il eu un impact sur toi ?
F.S. : Oui. Avant de jouer Britney, j'étais très complexée- je le suis d'ailleurs encore de temps en temps. Mais ce rôle a été très libérateur pour moi. Britney a énormément d'assurance et elle se contrefiche de ce que les gens peuvent penser. Cela a été une formidable expérience de jouer quelqu'un comme ça car cela m'a fait sortir de ma zone de confort. Le fait d'avoir été capable de l'incarner et que je me sois sentie à l'aise dans sa peau, voilà quelque chose que j'ai conservé. Je me sens aujourd'hui beaucoup plus confiante, notamment en mes capacités. Bon, les confinements et le Covid ont un peu mis à mal tout ça, j'ai été une larve ces derniers temps ! (rires)
F.S. : C'était un peu étrange au début des prises. Au début, tu es gênée en mode : "Oh mon dieu". Nous étions nerveux. Mais nous étions aussi tellement proches... Nous ne nous jugions pas. Et puis tu t'y habitues. Une fois que tu as vu quelqu'un tout nu sur le plateau, cela devient naturel. Tout le monde a un corps, des organes génitaux, il n'y a pas de quoi être embarrassé.
F.S. : Oh oui, sans aucun doute. Le genre est en train de devenir un sujet très largement accepté. C'est exaltant de se dire que tu peux être libre d'être qui tu veux être. Bien sûr, il y a des rageurs, mais voir tant de personnes qui sont dans l'ouverture et la tolérance, c'est formidable et j'espère que cela continuera ainsi.
F.S. : Oui, j'ai beaucoup d'ami·e·s qui ont questionné leur sexualité ou qui ne s'identifient pas à un genre particulier. Ce n'était donc pas un sujet nouveau pour moi, mais j'étais très heureuse de pouvoir en apprendre davantage. Et je continue d'ailleurs aujourd'hui d'en apprendre beaucoup. Je ne m'identifie pas moi-même en tant que queer, mais je pense que c'est incroyablement important pour les personnes concernées de voir ce type de série. Et je suis très fière d'en faire partie.
Tu as grandi dans l'industrie cinématographique. T'es-tu déjà sentie seule, comme ces gamins dans la base militaire de We Are Who We Are ?
F.S. : J'ai grandi en étant une fille unique, donc oui, un peu. Mais j'étais très proche de mes parents et je ne me suis jamais sentie vraiment emprisonnée. Bien sûr, j'ai parfois ressenti de la solitude, mais j'avais de super ami·e·s en grandissant et ils et elles restent mes meilleur·e·s ami·e·s encore aujourd'hui.
F.S. : Les deux. Il me donne très souvent confiance, mais ce nom peut peser lourd parce que les gens attendent beaucoup de moi. Et puis je dois faire très attention à ce que je dis ou ce que je fais, parce que cela retentirait non seulement sur moi, mais aussi sur mon père.
Alors oui, cela peut être un poids, surtout parce que je suis dans une école de cinéma. J'essaie de faire mes films et j'appréhende que les gens puissent juger mon travail en le comparant à celui de mon père. J'ai d'ailleurs déjà utilisé mon deuxième nom lors de stages de réalisation. Du coup, les gens ne savaient pas qui j'étais et j'étais traitée de façon équitable. Mais il faut relativiser, ce n'est pas non plus horrible. Il y a clairement pire fardeau dans la vie ! (rires)
F.S. : Mon père s'est forgé un nom tout seul en travaillant très dur pendant toutes ces années. Je viens juste de commencer à bosser et je dois continuer à me donner à fond dans mon travail artistique. Je ne sais pas si c'est parce que je suis une femme, mais j'ai pu constater depuis toute jeune que l'industrie cinématographique était très masculine, surtout dans la réalisation. Du coup, j'ai pu parfois me décourager parce que j'ai senti que cela serait très difficile de percer.
Mais il y a tant de réalisatrices géniales qui émergent aujourd'hui. Leur travail est d'ailleurs de plus en plus récompensé lors des cérémonies, c'est encourageant. Alors oui, j'adore mon père et j'adore mon nom, mais ce serait vraiment rassurant et formidable d'être reconnue pour moi-même et mon travail.
F.S. : Wow, il y en a tellement ! J'adore les vieux films et je dirais donc Agnès Varda car c'est vraiment l'une de mes cinéastes préférées. Son travail est incroyable et j'ai eu la chance inouïe de la rencontrer à plusieurs reprises. Mon père était très proche d'elle et c'était drôle de la voir dans mon salon avec son complice, l'artiste JR.
F.S. : Oh mon dieu, je serais tellement nerveuse ! (rires) J'adore les films dramatiques et le cinéma d'horreur. Alors évidemment, si je me lançais dans l'un de ces deux genres et si en plus j'avais Leo dans ce projet, je serais absolument terrifiée, mais ce serait une sacrée expérience que je ne pourrais refuser.
F.S. : Disons que je l'aide un peu parce qu'il n'est pas super doué avec l'iPhone. Je partage le compte avec des sociétés de production ou ce sur quoi il est en train de bosser. C'est moi qui gérais les promos de certains de ses projets, mais cela devenait carrément un boulot à part entière. J'ai donc passé un peu la main. Mon père donne son accord sur les photos à poster, sur ce qu'il veut écrire. Oui, je suis impliquée, c'est bien moi qui suis derrière certains de ses posts. Je n'avais jamais confié ça avant ! (rires)
We Are Who We Are
Une série de Luca Guadagnino
Avec Chloë Sevigny, Jack Dylan Grazer, Jordan Kristine Seamón, Kid Cudi, Francesca Scorsese...
Diffusion dès le 7 mars 2021 sur Starzplay