On se souvient de Kate Moss à la Elite Model Agency Look of the Year party en 1993, modèle argenté long à bretelles porté sur une culotte noire. De Naomi Campbell le même soir. De Cher en 1974, robe à manches avec strass incrustés. De Rose McGowan en 1998 aux Video Music Awards, résilles devant et ficelles derrière. De Jane Birkin en 1969, en mini de maille recouvrant les poignets. De Marilyn Monroe en 1962 à l'anniversaire de JFK, de Rihanna en 2014 avec foulard assorti et string nude, de Kim Kardashian en 2019 en seconde peau effet mouillé.
C'est un fait : la "naked dress" ne date pas d'hier. Ses multiples (ré)interprétations pavent l'histoire de la mode depuis le début du siècle dernier. "C'est quelque chose que l'on voit dans les films hollywoodiens et les spectacles burlesques depuis le début du XXe siècle", explique Kimberly Chrisman Campbell, historienne de la mode, à Refinery29. Ces styles étaient appelés "illusion dress" (ou "robe à illusion"), car elle donnait l'impression que la personne qui les portait était nue.
En 2021, cette "robe nue" signe un retour remarqué, des marches du Met Gala aux podiums de la Fashion Week. Avec une différence à noter : les silhouettes correspondant aux standards normés de beauté ne sont plus les seules à se laisser caresser par le tissu à peine visible.
On se demande : plus qu'une pièce ultra-mode qui fait sensation sur les couvertures des magazines, la "naked dress" reflète-t-elle en réalité l'expression d'une acceptation de soi inspirante ? D'une réappropriation du corps féminin longtemps diabolisé ? Voire d'une quête de liberté post-restrictions sanitaires ? Réponse.
On l'avait vue sur la chanteuse Chloe Bailey aux BET Awards, en juin dernier. Et puis, sur Zendaya, qui aurait relancé la tendance, à en croire Elinor Block, l'une des journalistes expertes du Who What Wear. L'actrice s'est affichée en robe Balmain en cuir au Festival du film de Venise, suivie par Megan Fox aux VMA en création Mugler (effet mouillée, comme Kim K). D'autres, comme Kendall Jenner et Zoë Kravitz lors du Met Gala en septembre, leur ont emboîté le pas. Un défilé qui a enflammé les ventes des dérivés chez les marques de prêt-à-porter accessibles, et les recherches en ligne.
Rien qu'au mois de juin, le revendeur numérique Lyst a enregistré une augmentation de 45 % des recherches pour les termes anglophones traduits par "robes nues" et "robes transparentes", tandis que les "mini robes transparentes" et les "robes ajourées" ont vu les pages consultées augmenter de 21 % et 38 %, respectivement. "Engouement" est un doux euphémisme.
Ce phénomène fashion, Refinery29 l'explique par un état d'esprit général avide de s'affranchir des (gestes) barrières, sortie de crise sanitaire oblige. "À l'instar de la situation actuelle, les années 60 et 70 (autre époque forte de la "naked dress", ndlr) étaient marquées par la liberté et la rébellion, la liberté de faire ce que l'on voulait, d'aller où l'on voulait et de porter ce que l'on voulait, aussi transparent ou léger soit [le vêtement]".
Et aussi, une envie d'afficher ses convictions féministes ?
"On pourrait considérer la mise à nu de son corps comme un acte de célébration et de revendication", analyse auprès de Elle Sonnet Stanfill, conservatrice de la mode du XXe siècle et contemporaine au V&A, musée d'art et du design de Londres. "D'un autre côté, on n'a pas le contrôle sur la façon dont cela se passe avec les spectateurs." Sous-entendu : les réactions sexistes en pagaille.
Le slut-shaming émanant du public, Rose McGowan en a justement fait les frais après son apparition lors de la cérémonie des Video Music Awards, à la fin des années 90. L'actrice et activiste abordait pourtant le fait d'y assister vêtue de la création désormais culte à la manière d'un "acte politique". Une façon de dénoncer la hypersexualisation à laquelle elle était constamment réduite, en jouant le jeu d'une audience harcelante.
"C'était un acte de défi, une 'déclaration politique'," se souvient-elle lors d'une interview pour Elle. "C'était comme dans [le film] Gladiator, où Russell Crowe sort et dit : 'N'êtes-vous pas rassasiés ?'. C'est vraiment pour ça que je l'ai fait. C'était un peu du genre, 'alors, c'est ça que vous voulez voir ?' Mais on m'a slut-shamée immédiatement et mondialement et c'était intense.''
Même son de cloche deux décennies plus tard chez Zoë Kravitz. Apparue en un modèle ajouré Saint Laurent by Anthony Vaccarello lors du gala du Met cet automne, la jeune femme a essuyé bon nombre de critiques acerbes et sexistes. Commentaires qu'elle a cloués sur place : "Être mal à l'aise avec le corps humain, c'est de la colonisation et du lavage de cerveau. C'est juste un corps. Nous l'avons tous."
Au-delà d'une perspective de réappropriation, se parer aujourd'hui d'une "naked dress" peut prendre une toute autre signification, incarner un tout autre enjeu : celui d'exposer des morphologies longtemps invisibilisées, discriminées, moquées. De les montrer telles qu'elles existent, de s'affranchir d'une stigmatisation sociétale forcément destructrice.
"Cette fois-ci, je prédis que cette tendance sera beaucoup plus diversifiée en termes de types de corps qui y participent", déclare en ce sens l'historienne Kimberly Chrisman Campbell. "Je pense que nous verrons des personnes qui, il y a 20 ans, ne se seraient peut-être pas senties à l'aise en portant des vêtements complètement transparents et qui mettent le corps à nu, adopter [pleinement] la robe nue."
Et qu'elle soit militante ou non, cette décision oeuvre à une diversité émancipatrice.
La preuve avec la rappeuse américaine Lizzo, qui s'est rendue à l'anniversaire de Cardi B dans une maxi-robe violette transparente entièrement composée de cristaux irisés signée Matthew Reisman. En-dessous, presque rien. Et les détracteurs n'ont pas tardé à débarquer. L'artiste a alors répliqué en conseillant vivement à ses abonné·e·s de passer leur chemin. "Ce n'est pas une déclaration politique. C'est juste mon corps. (...) Je suis là, ne dites rien."
Finalement, le pouvoir de la "naked dress" est aussi varié que ses réinterprétations. Chacune se l'approprie, avec son propre vécu, ses propres combats ou à l'inverse, sa propre envie de légèreté. Un élément de dressing qui, que l'on ose l'enfiler pour sortir ou pas, a tout d'iconique.