Damien Abad, Taha Bouhafs, Eric Coquerel, André Santini... Depuis plusieurs semaines, la classe politique est secouée par des affaires de violences sexistes et sexuelles. Assisterait-on (enfin) à un #MeToo politique ? Les formations sont-elles suffisamment armées et efficaces pour prendre en charge les victimes présumées ?
Ancienne collaboratrice d'élus, Mathilde Viot a pu faire l'expérience des arcanes politiques et du sexisme qui y règne. Elle en raconte les dessous dans un livre piquant L'homme politique, moi j'en fais du compost (sorti en mai 2022, Ed. Stock) et tente de bousculer ces vieux réflexes à travers l'Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique qu'elle a cofondé en 2022. Pour Terrafemina, elle analyse la gestion des récentes affaires et la façon dont les partis pourraient trouver des voies d'amélioration.
Mathilde Viot : Ma sensation, c'est que la réaction du gouvernement visait à décorréler le départ de Damien Abad des accusations dont il était l'objet. De fait, ils ont maintenu la jurisprudence qui existe depuis le maintien de Gérald Darmanin : les violences sexistes et sexuelles, même reconnues, n'ont pas à être prises en considération. Cela tranche par exemple avec le départ de François Bayrou, mis en cause pour des affaires d'emplois fictifs, et qui a présenté immédiatement sa démission au moment de la formation du premier gouvernement en 2017.
Par conséquent, on voit bien que dans le monde politique, les mises en cause pour manquement de probité financière sont prises avec beaucoup plus de sérieux que des accusations de viol. Le gouvernement a tenté de jouer la montre. Je pense qu'iels espéraient secrètement- et assez lâchement, il faut le dire- que Damien Abad ne serait pas élu aux législatives. Cela n'a pas été le cas. La pression médiatique était trop forte pour qu'il soit maintenu.
M.V. : L'installation de Gérald Darmanin à son poste, il y a 3 ans, a suscité moins d'émoi. Tout simplement parce que ce nous disions était moins repris dans les médias. Notre message n'avait pas la même force qu'aujourd'hui. Nous sommes allées manifester place Beauvau. Nous avons été gazées et repoussées violemment par la police, et c'est tout ce qui s'est passé. Rappelons qu'il a reconnu avoir rendu des services administratifs du fait de ses fonctions à une femme qui l'accuse de viol et que cela ne choque personne.
Je pense que son cas devrait très sérieusement être réexaminé. Parce que l'on peut voir comment le pouvoir se manifeste par la violence et notamment sexiste et sexuelle. C'est particulièrement vrai dans le monde politique.
Nous devons, collectivement, nous demander si nous trouvons cela normal, que l'agressivité et la domination soient des valeurs qui permettent de prospérer dans le monde politique. C'est ce que j'essaie de démontrer dans mon livre L'homme politique moi j'en fais du compost.
M.V. : Le tweet de Jean-Luc Mélenchon est nul. Pour rappel, il disait : "Des militants engagés depuis des années contre LFI détournent le sens de la lutte contre les violences sexistes pour salir Éric Coquerel après sa victoire sur l'extrême-droite. Cette forme de revanche manipulatoire nuit gravement au combat des féministes". Cela laisse à penser que les femmes qui ont pris la parole sont instrumentalisées. Cela montre aussi la méconnaissance des raisons qui poussent les femmes à parler.
Cette posture a été prise par plusieurs cadres du parti, y compris des féministes. J'ai été très surprise de voir cela. Alors que ces cadres ne connaissent pas les tenants et les aboutissants, la solidarité s'est portée directement vers leur camarade Coquerel. Exactement comme lorsque le délégué général de La République en marche, Stanislas Guérini, défendait "selon son intime conviction" Jérôme Peyrat, candidat de la majorité présidentielle pour les élections législatives condamné pour violences conjugales. Ou lorsqu'Emmanuel Macron confiait "avoir parlé d'homme à homme avec Darmanin" et lui apportait son entier soutien.
M.V. : Je pense que le travail des organisations n'est pas de prendre part pour l'un ou pour l'autre dans ces affaires. Mais si elles étaient un peu malines, elles éviteraient de placer des hommes dans des situations de pouvoir alors même que l'on sait qu'il y a des accusations, larvées, qui sont portées contre eux. Ou alors, elles peuvent le faire après avoir pris toutes les précautions nécessaires et avoir enquêté pour tenter d'assurer que la fonction qui sera détenue par l'élu ne sera pas entachée.
Les organisations peuvent assurer un principe de proportionnalité aussi. En l'occurrence, Eric Coquerel a été accusé de "comportement inapproprié", mais pas de viol, comme c'était le cas avec Damien Abad. Il peut être normal qu'il soit maintenu, mais il faut vraiment faire la lumière sur cette affaire.
M.V. : Tout le monde tâtonne depuis #MeToo, et essaie de faire du mieux possible. La FI a décidé de maintenir l'anonymat des personnes interrogées : c'est son choix. Mais une décision a été prise, celle d'assurer un principe de précaution et de ne pas investir un homme mis en cause pour violence sexistes ou sexuelles.
C'est un début qui pourra permettre de cranter une jurisprudence intéressante et qui vient rompre avec des années pendant lesquelles ces questions ont été reléguées au dernier rang en terme d'importance au moment du choix des candidats.
M.V. : En tout cas, nous y travaillons ! Mais il faut que cela soit suivi d'un effet plus profond, à savoir que les femmes soient plus valorisées dans le monde politique. C'est un mouvement qui va de pair. Nous avons, suite à la dénonciation de la violence subie par les femmes, obtenu que quatre groupes parlementaires soient gérés par des femmes, que l'Assemblée nationale soit présidée par une femme, et que l'on ait une Première ministre. Et pourtant, certaines d'entre elles et notamment Elisabeth Borne, commencent déjà à être critiquées sur des bases assez peu rationnelles. Nous devons continuer à nous battre pour nous assurer que les femmes politiques ne soient pas déconsidérées par principe.
M.V. : Déjà en observant et en décortiquant tous les mécanismes de domination des hommes sur les femmes. C'est un milieu dans lequel la manifestation du pouvoir se fait beaucoup par la démonstration : on claque des pieds, on a de jolis costards et... on a des comportements inappropriés avec les femmes. C'est-à-dire qu'il m'a semblé que ces comportements-là étaient non seulement pas empêchés, mais au contraire valorisés. Celui qui se comporte mal envoie le signal à tous les autres hommes qu'il est "un homme à poigne", qu'on "ne lui résiste pas", et que de toute façon, personne n'osera parler contre lui.
Ce que nous faisons, c'est de démontrer ces mécanismes-là et dénoncer le fait qu'ils soient promus. Il faut que l'on arrive à diffuser l'idée que la politique a tout à gagner si l'on se débarrasse de ces codes, et que l'on mette en place des pratiques féministes.
M.V. : L'Observatoire continue à faire de la veille sur le monde politique, mais nous prévoyons aussi de faire du plaidoyer pour demander des améliorations, tant dans la création de nouvelles institutions, dans la mise en place de pratiques vertueuses, notamment à l'Assemblée nationale, mais aussi éventuellement dans le droit pénal.
M.V. : Je m'écarte un peu du terme "exemplaire" : on n'est pas obligé d'aller jusque-là. Par exemple, empêcher quelqu'un qui a un jour volé une voiture d'être ministre n'a aucun sens. Et le terme "exemplaire" me pose problème, comme s'il s'agissait de faire de la classe politique une sorte d'élite, arrachée par sa vertu au-dessus du reste de la population. C'est tout simplement impossible : les hommes et femmes politiques sont de la matière humaine et comme toute matière humaine la pureté n'existe pas.
Mais cela dit, dire "nous accordons à l'État une importance capitale et nous souhaitons faire en sorte que les personnes qui l'incarnent puissent représenter l'intérêt général", cela me semble plus intéressant. Et cela permettrait d'aborder à nouveau la question de Gérald Darmanin, qui, selon moi, ne peut pas être le chef de la police quand les accusations qui sont portées contre lui sont extrêmement fortes.
Je me réjouis que les questions des violences sexistes et sexuelles soient, désormais considérées avec autant d'importance que les affaires d'argent, ou que les homards de François de Rugy- dont les photographies alors qu'il était président de l'Assemblée nationale avaient fini par conduire à sa démission.