La question était attendue, la séquence tendue et les mots auraient dû être pesés, mesurés. Au lieu de cela, Emmanuel Macron, lors de son interview télévisée du 14 juillet, a ajouté de l'huile sur le feu. Ainsi, pour justifier la nomination de Gérald Darmanin, visé par des accusations de viol, harcèlement sexuel et abus de confiance, au poste de ministre de l'Intérieur, le président de la République s'est lancé tout d'abord dans une défense ardente de la présomption d'innocence dont il s'estime le "garant". L'argument paravent martelé par tout le gouvernement (et la majorité) pour défendre cette promotion qui passe si mal. Rappelant que l'affaire Darmanin a fait "l'objet de plusieurs enquêtes qui ont, à chaque fois, été classées sans suite", Emmanuel Macron a argué que la relance des investigations- décidée le 15 juin - ne serait motivée que par "des raisons de forme".
L'exposé de la présomption d'innocence se révèle pourtant bien faible au regard du message politique symbolique renvoyé et du devoir d'exemplarité qui aurait dû prévaloir dans un tel cadre (en Suède, la ministre Mona Sahlin, numéro 2 du gouvernement, avait été forcée de démissionner pour avoir acheté une barre chocolatée avec sa carte de crédit de fonction). Attendre l'issue de cette procédure judiciaire avant d'ajouter un nouveau galon à ce collaborateur était-il vraiment inconcevable ? Rappelons que le candidat Macron avait fait de la "moralisation de la vie politique" l'un de ses arguments de campagne. Et que le président avait brandi la défense des droits des femmes comme "grande cause du quinquennat". Ballot.
Le message (dévastateur) renvoyé par les nominations de Gérald Darmanin et de l'avocat Eric Dupond-Moretti avaient suscité l'indignation des associations féministes. Des réactions que le président a balayées d'un revers de main lors de cet entretien. Soulignant qu'il "respecte toujours l'émoi et la colère des causes justes", Emmanuel Macron a "en même temps" émis une réserve : "Si, à partir du moment où quelqu'un est accusé, mais pas jugé, il devient en quelque sorte la victime d'un jugement de rue, ou de réseaux sociaux, parce qu'il y a une émotion."
Par ces mots, le président Macron a donc choisi de victimiser son ministre et assimilerait la colère des femmes à un brouhaha aussi grossier qu'insignifiant tant cette vindicte populaire émanerait d'une masse rageuse et anonyme. Rien qui ne justifie qu'on y prête attention, a priori. "Je chéris cette cause juste de la lutte contre les violences et de l'égalité effective entre les sexes, mais je chéris ce qui peut faire de notre démocratie une démocratie plus forte encore, celle de ne pas céder à l'émotion constante", a-t-il renchéri. Car oui, les femmes sont constamment trop "émotives", c'est bien connu. On a frôlé le point "hystérie".
Et le président ne s'est pas arrêté là. Emmanuel Macron est revenu sur les prémices de la nomination controversée de Gérald Darmanin, en dévoilant les coulisses, comme une confidence presque susurrée à l'oreille des journalistes Léa Salamé et Gilles Bouleau. "J'ai eu une discussion avec lui. Il y a aussi une relation de confiance, d'homme à homme, de président de la République à ministre nommé, sur la réalité de ces faits et leur suites". Nous y voilà : l'entre-soi viril, la discussion franche les yeux dans les yeux, entre bonhommes. Et le mépris de la parole de la victime présumée, refoulée à l'entrée du boys club. Pulvérisée en quelques mots.
Cette petite phrase, qu'elle ait échappé ou pas au chef de l'Etat, est tout sauf anodine. Le héraut auto-proclamé de la cause féministe s'est mué ici en parangon de la culture du viol, piétinant allègrement la parole de la victime présumée pour se placer du côté du "responsable politique intelligent, engagé et blessé par ces attaques". En réduisant ainsi les mots de la victime présumée à néant, en sanctifiant la solidarité masculine, en inversant la figure de la victime, Emmanuel Macron nourrit (inconsciemment ?) ce mécanisme qui contribue à l'impunité juridique et sociale des agresseurs sexuels. Et bâillonne tant de femmes agressées, qui peinent à porter plainte.
Cette sortie a légitimement fait bondir nombre de responsables politiques et associations féministes. De l'ancienne ministre socialiste des droits des femmes, Laurence Rossignol, à la députée européenne EELV Karima Delli en passant par l'une des instigatrices de l'association féministe Nous Toutes Caroline De Haas, toutes ont pointé ces formules inappropriées, écoeurées.
Car si Emmanuel Macron a tenté de faire valoir les actions du gouvernement pour faire avancer les droits des femmes (comme les bracelets électroniques, les téléphones "grave danger", les places d'hébergement, le numéro d'écoute 39 19), le président a renvoyé de nouveaux signaux contradictoires ce 14 juillet. Le chef de l'Etat prétend "partager" la cause féministe, mais il ne semble pas en avoir assimilé les fondamentaux.