Moins de deux mois après les débuts de l'affaire Weinstein aux États-Unis et la libération sans précédent de la parole des femmes qui s'en est suivie, le discours d'Emmanuel Macron sur les violences faites aux femmes se devait d'être historique. Et sur certains points, il l'a en effet été. Pour la première fois, un président de la République s'exprimait depuis l'Élysée un 25 novembre, Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, et proposait des mesures concrètes pour que "la honte change de camp", comme il l'a rappelé à plusieurs reprises.
Pendant près d'une heure, Emmanuel Macron a donc dévoilé l'arsenal de mesures envisagées pour ériger l'égalité femmes-hommes au rang de "grande cause du quinquennat". Trois priorités ont été déroulées. D'abord "l'éducation et le combat culturel en faveur de l'égalité" avec la mise en place dès 2018 d'un "module d'enseignement" dans toutes les écoles du service public consacré "à la prévention et à la lutte contre le sexisme, le harcèlement et les violences" faites aux femmes, l'élargissement des pouvoirs du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA) afin de protéger les enfants des vidéos pornographiques.
Deuxième priorité : offrir aux victimes un meilleur accompagnement en allongeant de 20 à 30 ans le délai de prescription pour les crimes sexuels sur mineurs, en ouvrant dans les hôpitaux des unités spécialisées dans la prise en charge des victimes, un remboursement par la Sécurité sociale des soins psychotraumatiques résultant des violences ou encore offrant aux femmes la possibilité de signaler en ligne les violences, le harcèlement ou les discriminations qu'elles subissent.
Dernier volet des mesures édictées par le président de la République : le "renforcement de l'arsenal répressif", avec, entre autre, la création d'un délit d'outrage sexiste avec une "amende dissuasive" pour quiconque harcèle une femme dans les lieux publics. Très attendue par les associations de défense de droits des femmes, la fixation à 15 ans de l'âge de consentement minimal à un acte sexuel a aussi été annoncée. "J'ai une conviction personnelle que je veux vous partager. Nous devons aligner l'âge de consentement sur celui de la majorité sexuelle, à 15 ans, par souci de cohérence et de protection des mineurs", a déclaré Emmanuel Macron.
Aussi nécessaires et urgentes soient-elles pour lutter efficacement contre les violences faites aux femmes, ces mesures ont pourtant été accueillies froidement par les militantes féministes. Et pour cause : malgré la promesse que le budget alloué à la lutte contre les violences faites aux femmes atteindra 420 millions d'euros en 2018 soit "son plus haut niveau jamais connu" et sera sanctuarisé sur l'ensemble du quinquennat, force est de constater qu'il reste insignifiant : 0,007% du budget de l'État est alloué à la question des violences faites aux femmes. De 27 millions d'euros en 2017, le budget du secrétariat d'État, lui, passera à 30 millions d'euros l'an prochain, soit "un euro par femme", explique la militante féministe Caroline de Haas.
Sur Twitter, celle-ci a d'ailleurs rappelé la réalité du budget annoncé par Emmanuel Macron.
Interrogée par Les Inrocks, Laure Salmona, co-fondatrice de l'association des Féministes contre le Cyberharcèlement, déplore elle aussi le manque de moyens alloués à la lutte contre les violences faites aux femmes, et notamment l'absence de déblocage de fonds d'urgence aux associations venant en aide aux femmes victimes de violences. "On ne peut pas demander à la société civile de mener seule le combat sans subventions, ni demander aux femmes qui s'engagent de continuer à travailler de façon précaire avec des salaires qui sont parmi les plus bas du milieu associatif", analyse-t-elle.
Même constat de la part d'Osez le féminisme. "Nous ne cessons de le dire : sans financement, tout plan de communication, de formation, de sensibilisation, de prise en charge des victimes sera vain. Nous ne pouvons nous satisfaire des effets d'annonce et des promesses jamais tenues", annonce l'association dans un communiqué.
Autre sujet de déception de la part des associations : l'absence de mesures pour lutter contre le harcèlement sexuel et les violences sur le lieu de travail. ". Il y a 20% des femmes qui ont subi du harcèlement sexuel sur leur lieu de travail. On a l'impression que ça n'existe pas dans l'univers d'Emmanuel Macron alors que les entreprises, le monde du travail, ça fait partie de son ADN politique", regrette Caroline de Haas.
Seul point avancé par le président contre les discriminations dans le monde professionnel : la généralisation des opérations de testing afin de débusquer les entreprises qui discriminent les femmes à l'embauche ou durant leur carrière. "Seule parole sur le travail : des testings. Aucune proposition pour faire appliquer la loi sur la prévention du harcèlement sexuel", relève Caroline de Haas qui décrit cette absence comme "lunaire".
Autres regrets : la non mise en place d'un "brevet obligatoire de la non-violence" dans les collèges, auquel a été préférée une prévention contre la pornographie, et le flou autour du fameux "délit d'outrage sexiste", à savoir la réalité qu'il recouvre, son applicabilité et son efficacité. À ce sujet, les associations féministes avaient déjà fait part de leurs doutes sur la verbalisation du harcèlement de rue. Elles n'ont apparemment pas été entendues.