Importuner une femme dans la rue, la harceler et l'insulter parce qu'elle ne répond pas à ces "avances" pourrait bientôt faire l'objet de poursuites et être passible d'une amende. C'est en tout cas la volonté de Marlène Schiappa. Invitée dimanche 17 septembre de l'émission "Dimanche en politique" sur France 3, la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes a annoncé la création ce mardi d'un groupe de travail chargé de plancher sur les mesures possibles pour lutter efficacement contre le harcèlement de rue.
Composé de "députés transpartisans venant de groupes politiques différents", ce groupe de travail s'est vu confier la rédaction de "préconisations pour que le gouvernement puisse proposer une loi visant à créer une infraction, faire en sorte que le harcèlement de rue ne soit plus toléré dans notre société", a déclaré Marlène Schiappa sur France 3.
Placés sous l'égide sous l'égide des ministères de l'Intérieur et de la Justice, les député.e.s Laëtitia Avia (LaREM), Élise Fajgeles (LaREM), Marietta Karamanli (Nouvelle Gauche), Erwan Balanant (Modem) et Sophie Auconie (Les Constructifs) vont auditionner institutions, expert.e.s et associations afin de pénaliser le harcèlement de rue, précise le communiqué du secrétariat d'État.
Pourtant, pour certains collectifs et associations féministes, verbaliser et pénaliser le harcèlement de rue va être dans les faits très compliqué à mettre en place. Dans une tribune publiée sur L'Express, Anaïs Bourdet, la militante à l'origine du projet Paye ta Shnek et l'association Stop Harcèlement de Rue s'interrogent sur l'efficacité de telles mesures.
Premier problème relevé par les militantes féministes quant à la verbalisation du harcèlement de rue : l'improbabilité pour les 10 000 agent.e.s de proximité supplémentaires déployés sur tout le territoire d'assister à chaque scène de harcèlement afin de la verbaliser. "Il faut que l'agent.e de police voit ou entend le propos (donc qu'il se déroule juste devant lui/elle). On imagine mal les harceleurs attendre le moment où ils seront devant les force de police pour passer à l'acte."
Autre crainte soulevée dans la mise en place d'une éventuelle pénalisation : celle que la parole des femmes ne soit pas considérée comme fiable ou recevable, même si Marlène Schiappa a argué que serait toujours donnée "primauté à la parole de la victime". "Actuellement, nous recevons des centaines de témoignages de victimes de violences sexistes, quelles qu'elles soient, dont les propos sont remis en question par les agent.e.s de police qui les reçoivent. Ces derniers n'hésitent parfois pas à culpabiliser la victime, voire à refuser de prendre sa plainte. Nous doutons donc fortement de la mise en pratique de cette primauté de parole dans les faits."
Actuellement, rappellent Anaïs Bourdet et Stop Harcèlement de Rue, aucune étude fiable n'a été menée pour savoir où se déployait le harcèlement de rue. Les deux collectifs l'affirment pourtant : le harcèlement de rue a lieu partout, et les agresseurs sont de tous milieux socio-économiques, de toutes origines. Le déploiement de nouveaux agents de proximité leur fait cependant craindre qu'une fois encore, ce soient les quartiers dits "populaires" et ses habitants qui soient stigmatisés. "En l'absence d'anticipation de ce problème et du risque de dérives raciste et sécuritaire, nous maintenons que nous nous opposons totalement à cette mesure", déclarent Paye ta Shnek et Stop Harcèlement de Rue.
Pour les militantes féministes, il est possible de lutter contre le harcèlement de rue autrement et plus efficacement qu'en cherchant à verbaliser ses auteurs. Cela passe avant tout par une meilleure formation des agent.e.s de police aux questions des violences sexistes. Elles rappellent qu'actuellement, trop peu de femmes se déplacent au commissariat pour porter plainte. La peur d'être jugées, questionnées comme si elles étaient coupables de ce qui leur arrivait, mais aussi celles de ne pas voir leur plainte aboutir, les dissuadent de se lancer dans un combat qu'elles considèrent comme perdu d'avance. "Proposer la verbalisation du harcèlement de rue sans tenir compte des problématiques précédemment citées nous paraît une solution illusoire et contre-productive, d'autant plus qu'elle contient des risques de dérives sécuritaires et racistes. De plus, nous sommes convaincu.e.s que la répression ne peut pas se suffire à elle-même: il faut développer des moyens d'action en matière de prévention, de sensibilisation et d'éducation au niveau national", concluent Stop Harcèlement de Rue et Paye ta Shnek.