"Le Premier ministre sera choisi sur des critères d'expérience et de compétences. J'aimerais que ce soit une femme". On se rappelle de ces mots d'Emmanuel Macron, tweetés il y a trois ans de cela. En nommant finalement Jean Castex à ce poste (succédant ainsi à Edouard Philippe), autant dire que le président de la République n'a que peu tenu cette apparente volonté d'égalité femmes/hommes. Une belle promesse que le remaniement ministériel officialisé ce 6 juillet ne fait que désintégrer une bonne fois pour toutes.
Car il y en a des fiascos dans ce "casting" abondamment fustigé sur les réseaux sociaux. En premier lieu, la nomination de Gérald Darmanin au poste de ministre de l'Intérieur. Car l'ancien ministre de l'Action et des comptes publics est sous le coup d'une enquête suite à des accusations de viol, de harcèlement sexuel et d'abus de confiance. Des faits qu'il aurait commis en 2009, et qui avaient fait l'objet d'un non-lieu en 2018. Le mois dernier encore, la cour d'appel de Paris insistait sur l'importance de ces investigations et de leur reprise.
La "montée de grade" de Gérald Darmanin risque-t-elle de troubler cette enquête ? En tout cas, pas un souci pour l'Elysée qui a fait savoir ce lundi : "Après analyse juridique, les services compétents ont jugé qu'il n'y avait pas d'obstacle à cette nomination". Il faut dire qu'en juin dernier, l'ancienne porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye énonçait déjà cette même affirmation et exprimait le "renouvellement de sa confiance" à l'égard de Gérald Darmanin.
Aucune surprise, donc. Hélas.
Un autre choix tout aussi polémique ne suscite pas davantage d'enthousiasme : celui du fameux "Maître Acquitator" Eric Dupond-Moretti en tant que ministre de la Justice. Ces dernières années, le célèbre avocat n'a pas hésité à remettre en cause la légitimité du mouvement #MeToo - voire à le tacler ouvertement - mais aussi les projets de loi plus progressistes.
"Une véritable hystérisation et radicalisation des esprits". Ce sont les mots que décochait en 2018 Éric Dupond-Moretti sur le plateau de Jean-Jacques Bourdin afin de qualifier les élans massifs de libération de la parole que sont #MeToo et #BalanceTonPorc. Et le harcèlement de rue alors ? "Il y a une très vieille dame que j'adore qui m'a dit 'moi je regrette de ne plus être sifflée'. Alors, je vais vous dire, ça tient à l'éducation de chacun", assurait-il encore face au journaliste.
L'avocat s'était également distingué lors de sa plaidoirie aux relents sexistes dans le cadre du procès de Georges Tron, accusé de viol et d'agressions sexuelles, en 2018 : ""À 30 ans, on n'est pas une potiche incapable de dire non à un homme qui vous prend le pied."
Autant dire que malgré la nomination d'une nouvelle ministre chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes en la personne d'Elisabeth Moreno (qui succède ainsi à Marlène Schiappa, devenue ministre déléguée à la citoyenneté), le respect des droits des femmes ne semble pas être la priorité numéro un du gouvernement.
Le choix de la dirigeante d'entreprises Elisabeth Moreno ne réjouit d'ailleurs pas davantage les militantes féministes. "Les blagues à la machine à café sont très importantes, car il ne faut pas qu'on se sente verrouillé et qu'on ne puisse plus s'exprimer. Je ne veux pas d'un climat de défiance où le sexisme met tout le monde mal à l'aise et où chacun mesure constamment chaque mot qu'il utilise", avait-elle déclaré en 2018, alors à la tête de la branche française de Lenovo.
"Côté droits des femmes, ce remaniement est un énorme sketch", a réagi du tac au tac la militante Caroline de Haas, instigatrice du collectif Nous Toutes.
"Ce remaniement est un énorme doigt d'honneur aux femmes et féministes. Un ministre accusé de viols promu à premier flic de France. Une ancienne ministre chargée de l'égalité qui accepte de bosser pour/avec lui. Tout est dit, tout y est, rien ne va", a réagi l'initiative féministe Paye Ta Shnek - bien connue pour relayer des témoignages de victimes de violences sexistes et sexuelles.
Une opinion largement partagée sur la Toile. "En France, on peut être accusé de viol et de harcèlement sexuel, mais être nommé ministre de l'Intérieur. Mais à part ça, les accusations de viol brisent des carrières, oui", ironise en ce sens une journaliste le temps d'un tweet abondamment relayé. "La violence... L'impression de se manger une bonne claque symbolique collective", a commenté en retour la maîtresse de conférences en stylistique et langue française Laélia Véron.
La nomination du nouveau ministre de la Justice ne promet guère davantage de révolution féministe dans les mois à venir. "Eric Dupond-Moretti n'a jamais caché son aversion pour tout ce qui est le mouvement #MeToo, la loi sur le harcèlement de rue [initiée par Marlène Schiappa, ndrl]. Or les femmes ne veulent plus que ces sujets soient méprisés, raillés, ignorés", déplore l'ancienne ministre déléguée aux droits des femmes Laurence Rossignol.
Autant dire qu'avec à un tel palmarès, les "blagues à la machine à café" évoquées par la nouvelle ministre chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes semblent bien dérisoires. Et sa notion d'un "climat de défiance" plutôt déplacé face aux projets entamés par Marlène Schiappa, comme le Grenelle des violences conjugales par exemple, et de manière plus générale, face aux attentes actuelles des citoyennes et militantes féministes.
Aujourd'hui, c'est plutôt ce gouvernement qui a tout d'une mauvaise vanne...