La mesure est entrée en vigueur le 3 mars dernier, à cinq jours de la Journée Internationale de la Femme. Hasard du calendrier ou coïncidence ? Quoi qu’il en soit, depuis cette date, les chaînes de télévision ont l’obligation de compter le nombre de femmes qui apparaissent à l’antenne. Le but : faire des médias audiovisuels français un exemple en matière de parité. Pour l’heure, l’objectif est encore loin. « À un moment, la simple concertation et la persuasion ne suffisent pas. Les femmes sont une majorité et on n’a pas à nous traiter comme une minorité. On est une minorité à l’écran et à l’antenne, ce n’est pas normal », dénonçait encore très récemment Sylvie Pierre-Brossolette, membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et présidente du groupe de travail « Droit des femmes ».
Représentant plus de la moitié de la population française (52% exactement), les femmes sont pourtant très largement sous-représentées dans l’audiovisuel. Selon le dernier Baromètre de la présence des Femmes réalisé par le CSA, elles ne constituent que 36% des personnes apparaissant à la télévision ; animateurs, journalistes, invités, témoins et personnages de fiction compris. Dans le détail, elles ne représentent ainsi que 37% des personnages de fiction et 36% des intervenants des éditions d’information. S’agissant des magazines ou documentaires et des programmes sportifs, les chiffres tombent respectivement à 34% et 16%.
Et outre cette sous-représentation, les femmes pâtissent d’une criante différence de traitement dans les médias. À elles le rôle de témoin, de victime ou de malade ; aux hommes celui d'expert. En 2014, une étude de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina Stat) révélait d’ailleurs que les femmes n’étaient interrogées pour leurs compétences politiques, scientifiques, économiques ou sportives que dans 20% des cas. Même constatation du côté du CSA, chez qui cette part est passée de 18,9 % en 2013 à 20,12% l’année dernière. Une progression dérisoire.
« Les femmes sont toujours moins expertes et plus anonymes. Elles interviennent davantage en tant que victime ou témoin », regrettait déjà, en 2011, Brigitte Grésy, membre du Haut conseil de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. « On est à la fois dans un système pratique et de représentation. Les médias ont tendance à faire intervenir davantage d’hommes en tant qu’experts car ils les estiment plus aptes à transmettre un message de manière claire et concise », développait-elle alors. Faut-il par ailleurs rappeler que, le 22 février dernier, sur douze invités conviés dans douze émissions politiques, aucun n’était de sexe féminin ?
Aussi, pour inverser cette tendance et déclencher une prise de conscience, l’agence EpOke Conseil (dirigé par Marie-Françoise Colombani, ex-éditorialiste du magazine Elle) en collaboration avec les éditions Anne Carrière, publie et réédite depuis 2013 le Guide des Expertes, un carnet d’adresses qui compile les coordonnées de quelques 400 spécialistes dans des domaines très divers. De même, très impliqué dans la promotion pour l’égalité entre les hommes et les femmes, le groupe France Télévisions alimente depuis plusieurs années son propre répertoire d’experts. Recensant plusieurs centaines de contacts, du neurologue au géographe des villes en passant par l’économiste ou le critique littéraire, ce panel compte 80% de femmes. Autant d’initiatives louables mais dont les résultats se font encore attendre.
C’est donc au tour du gendarme de l’audiovisuel, dont les prérogatives ont été renforcées en août dernier, de monter au créneau. Et c’est dans le cadre de sa mission pour une « juste représentation des femmes », qu’il a imposé à toutes les chaînes un rapport public et annuel sur cette question. « Nous avons enfin un instrument pour dire que ça ne va pas. Il faut rendre visible l’invisible. Quand on doit faire un rapport public sur ce qu’on a fait toute l’année et que l’on doit s’auto-évaluer, il y a une émulation à être le meilleur élève », estime Sylvie Pierre-Brossolette. Et d’ajouter : « Il y a deux choses qu’il va falloir respecter : la loi d’une manière générale qui fait obligation de respecter la juste représentation et la lutte contre les stéréotypes ; et puis les obligations à l’année où il faut se compter quantitativement, qualitativement ».
Indépendamment de cette émulation, le CSA compte également sur la menace de sanction qui pèse sur les chaînes qui ne joueront pas le jeu, tout en concédant la dimension encore « expérimentale » de la mesure. « Je me réjouis déjà que l’objectif de 30% d’expertes soit inscrit dans le contrat d’objectifs et de moyens de France Télévisions. J’espère que les autres chaînes de radio et de télévision suivront », insiste malgré tout Sylvie Pierre-Brossolette. Rendez-vous en 2016 pour en juger.