Livres
Rebecca Walker : rencontre avec l'auteure du brûlant "Géographie de nos amours"
Publié le 26 octobre 2016 à 10:54
Par Anaïs Orieul
Aux États-Unis, son nom est synonyme de grandeur. Fille d'Alice Walker, auteure du livre culte "La couleur pourpre", Alice Walker a déjà écrit six essais et a été désignée par le "Time" comme l'une des personnalités à suivre. Ce mois-ci, elle publie en France son premier roman, "Géographie de nos amours". Rencontre avec une grande dame, aussi lumineuse qu'inspirante.
Rencontre : Rebecca Walker pour le livre "Géographie de nos amours" Rencontre : Rebecca Walker pour le livre "Géographie de nos amours"© Rebecca Fenton
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Rebecca Walker n'est pas une auteure comme les autres. Le poids de son nom repose lourdement sur ses épaules et c'est quelque chose dont elle a conscience. Sa mère n'est autre qu'Alice Walker, romancière célèbre, militante féministe et première femme noire mariée à un homme blanc (l'avocat juif Melvyn Rosenman Leventhal) dans l'État du Mississippi. Rebecca a donc grandi entre deux parents aux fortes personnalités, mais aussi et surtout, entre deux cultures. Son identité, c'est quelque chose qu'elle a longuement questionné dans plusieurs essais et une autobiographie. Diplômée de Yale, elle est à l'origine de la troisième vague du féminisme, a publié des articles pour défendre ses positions culturelles et identitaires. Bref, Rebecca Walker n'est pas que la fille de sa mère. C'est avec son seul talent et sa seule force qu'elle a bâti sa carrière, qu'elle est devenue une source d'inspiration pour des millions d'Américaines.

Ce mois-ci, les éditions de l'Archipel publient en France, Géographie de nos amours, son premier roman semi-autobiographique. On y découvre une jeune étudiante sans prénom (miroir de Rebecca), qui quitte les États-Unis pour découvrir l'Afrique. A l'est du Kenya, sur une île paradisiaque, elle rencontre Adé, jeune pêcheur musulman. Il l'appelle Farida, l'aime profondément, veut l'épouser. Mais le contexte politique du pays va venir contrarier leurs plans. Roman d'amour, récit initiatique, Géographies de nos amours jette aussi un regard fort sur le mélange des cultures. On a rencontré Rebecca Walker dans un café parisien pour lui parler de son roman. Douce, solaire, cultivée et curieuse, elle nous a littéralement ensorcelé...

Terrafemina : Géographie de nos amours est votre premier vrai roman. Mais on sent qu'il laisse une grande part à l'autobiographie. Pourquoi avez-vous eu envie de raconter cette histoire à ce moment précis ?

Rebecca Walker : Une bonne partie de cette histoire m'est vraiment arrivée. Et je n'arrivais pas à m'en défaire. Je voulais être sûre de donner en retour à l'homme qui m'a aimé si bien. Je voulais lui faire un cadeau... et puis on ne rajeunissait pas (rires). Et puis il y a aussi les tensions politiques, ces malentendus entre les musulmans et la communauté non islamiste. Tout ça est devenu tellement extrême. Je voulais montrer qu'il peut y avoir de l'amour entre deux personnes qui n'ont pas les mêmes origines. J'espère que cela pourra calmer la colère et la confusion ressenties par certaines personnes.

C'est vrai que le portrait que vous faites d'Adé est assez frappant. On ne voit pas souvent des portraits aussi positifs d'hommes musulmans dans notre culture...

R.W. : Oui, c'était très important pour moi. Nous voyons souvent des portraits plutôt négatifs des hommes musulmans, particulièrement à la télévision. Mais le souvenir que j'ai de cet homme n'a rien à voir avec ça. Mais je voulais également montrer une autre facette des femmes américaines. La vision que l'on a d'elles, c'est qu'elles ne sont pas compliquées, qu'elles sont ouvertes aux nouvelles expériences. Or, je pense qu'elles peuvent se poser beaucoup de questions et être complexes.

Diriez-vous que votre livre penche plus du côté de la fiction ou de l'autobiographie ?

R.W. : Je pense que toute fiction se nourrit de quelque chose d'autobiographique, et inversement. Cela peut être très dur de faire la différence entre les deux. Dans mon cas, en puisant dans mes souvenirs, j'ai utilisé mon imagination pour recréer le passé. Et ça, c'est un acte très créatif. On ne peut pas prendre une photo avec son esprit, on ajoute forcément un peu d'imaginaire à nos souvenirs. Donc je dirais que ce roman est autant de la fiction qu'une autobiographie.

Pourquoi votre héroïne n'a-t-elle pas de prénom avant qu'Adé ne lui donne son prénom arabe, Farida ?

R.W. : Je voulais symboliser le fait qu'elle avait une identité mais qu'elle ne s'était pas encore trouvée. Quand il la rencontre, elle n'a encore rien vu du monde, elle se cherche. Et lui, il la trouve d'une certaine façon.

Farida est une femme qui a du caractère. Elle est féministe et libérée. Mais pour Adé, elle accepte de changer. Elle commence à se couvrir, à délaisser un peu sa culture. Diriez-vous que l'amour peut compliquer les notions d'identité ?

R.W. : Je pense que l'amour peut nous aider à développer notre identité. Lorsque l'on vient au monde et qu'on grandit, on nous présente un seul côté de ce qui nous attend : "voilà qui tu es, voilà ce que tu dois devenir et voilà comment tu dois te comporter". Et parfois, c'est uniquement grâce à l'amour que l'on est capable de changer et de s'ouvrir. Je pense donc que ce sentiment est le plus puissant qui existe au monde. Vous savez, ma mère est afro-américaine et mon père est juif. Quand ils se sont mariés, c'était illégal, les mariages interraciaux étaient encore interdits. C'est l'amour qu'ils se portaient mutuellement qui leur a permis d'ouvrir leur monde. Ils ont découvert une nouvelle philosophie de vie, d'autres cultures. Et je ne serais pas née si l'amour ne les avait pas réunis.

Géographie de nos amours, de Rebecca Walker
Farida et Adé sont des amants assez idéalistes. Ils sont jeunes et plein d'espoir. Mais pensez-vous que leur relation aurait été différente si Farida avait eu le temps de vivre un peu plus avant de le rencontrer ?

R.W. : Et bien pour commencer, elle aurait peut-être été en couple avec quelqu'un d'autre (rires) ! Blague à part, je pense que lorsqu'on est jeune, il est plus facile de s'ouvrir et d'explorer ses sentiments. Mais je pense que c'est quelque chose que l'on devrait entretenir parce que nous avons besoin de ça tout au court de notre vie. Les enfants sont plein d'espoir et il ne faut jamais perdre ça.

La sortie du livre vous-a-t-elle aidé à tourner la page ?

R.W. : Oui, effectivement. Il m'a fallu beaucoup d'années pour terminer ce roman. Au moment où j'ai commencé à l'écrire, j'étais en couple mais dans ma tête, j'étais mariée à cet homme. Je n'arrêtais pas de penser à lui et j'étais très intéressée par cette idée : est-ce que penser à un autre homme revient à être infidèle ? Donc quand j'ai commencé à écrire, dans ma tête, j'étais déjà en train de tourner la page. Des années plus tard, j'ai réussi à retrouver sa trace, et bien, il était encore amoureux ! Moi, je me demandais ce que j'allais ressentir en le voyant. Et en le rencontrant, j'ai compris que je n'avais plus ces sentiments-là pour lui. Mais je suis très heureuse de l'avoir revu. Nous sommes restés en contact, c'est un ami. Aujourd'hui, il est marié avec une femme, il vit en Allemagne et il a des enfants superbes.

Tf : Vous êtes connue pour être une féministe très engagée. Vous êtes même à l'origine de ce qu'on appelle la troisième vague du féminisme. Depuis quelques années, on parle d'une quatrième vague. Quel regard portez-vous sur les combats menés actuellement par les féministes de cette nouvelle génération ?

R.W. : Je pense que ce qui est important au sujet de la troisième vague, c'est que nous voulions montrer qu'il n'y avait pas qu'une seule bonne façon d'être une femme forte et autonome. Il n'existe pas une seule définition de ce que cela signifie. Ce que je trouve très beau au sujet de la quatrième vague, c'est que les femmes ont bien assimilé tout ça. Pour elles, on peut être mariée à une femme, on peut vivre avec un homme, on peut être profondément religieuse et se sentir très libre, on peut être un homme, on peut être transgenre. C'est ça le féminisme.

Il y a des choses que je n'appréciais pas dans la deuxième vague, c'est qu'il y avait des règles établies et qu'il fallait les suivre. Il fallait croire en ceci, être comme cela, etc. Pour moi, il fallait ouvrir la porte pour que le plus de personnes possible entrent et fassent évoluer positivement ce mouvement. Il y a une chose qui me faisait peur quand j'étais plus jeune, c'est que j'avais l'impression que les jeunes femmes autour de moi avaient oublié leur histoire et ne voyaient pas ce qui se passait autour d'elle. Donc pour moi, juste le fait qu'elles aient conscience que oui, on est traité différemment selon son genre, c'est déjà un grand pas.

Géographie de nos amours, de Rebecca Walker, éditions de l'Archipel, 168 pages, 17€

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