Prix Nobel de littérature 2022, première Française à gagner le précieux sésame depuis 1901 et 17e femme distinguée par l'Académie suédoise, mais aussi, grande sociologue, essayiste, militante féministe, Annie Ernaux est l'un des trésors de notre matrimoine hexagonal. Une immense autrice à la littérature précise, nette, qui vient transcender le socle limité de l'autofiction pour l'enrichir d'une puissance universelle.
Et, ce qu'elle relate l'avortement dans une France où l'IVG est encore illégale (avec L'événement) ou évoque l'aliénation des femmes au foyer dans le bien nommé La femme gelée. Autrice de plus d'une vingtaine d'ouvrages, l'ex professeure touche souvent juste, qu'elle évoque la violence de classes, la condition de transfuge, la condition féminine, le phénomène de culpabilisation, le rapport aux grandes villes, à la société de consommation, à la solitude, bref... C'est la France que raconte Annie Ernaux, toujours, d'une manière hyper incarnée.
Et cette importance sociologique est aujourd'hui reconnue comme telle : à Cergy-Pontoise, coin cher à la romancière, une Maison de la recherche "Annie Ernaux" vient justement d'être inaugurée en sa présence...
C'est un honneur pour cette "fan" de Camus et de Bourdieu de se voir ainsi édifiée à Cergy ! Lieu qu'elle connaît sur le bout des doigts.
Car comme le rappelle à juste titre franceinfo, la romancière de 84 ans y vit depuis longtemps -un demi siècle déjà, rien que cela ! - dans cette "ville nouvelle" située à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Paris. D'ailleurs l'on ajoutera que dans ses autofictions, elle n'hésite pas à mettre en mots ces lieux populaires, synonymes de diversité culturelle, d'architectures, d'urbanisme, de poésie contemporaine également. On pense par exemple aux phrases qu'elle dédie à Cergy dans son magnifique "Journal du dehors", carnet de bord rédigé très minutieusement de 1985 à 1992. A ajouter sur votre PAL...
"Je mesure mon privilège d'avoir assisté à la naissance et à l'édification d'une grande ville", s'est réjouie Annie Ernaux lors de l'édification de cette Maison de la recherche, qui a pour but d'accueillir des chercheurs internationaux à travers divers laboratoires (histoire, géo, littérature, langues, psychologie...).
Ce lieu de la Recherche - mot ô combien cher à cette admiratrice de Proust - témoigne aussi de la vivacité intellectuelle toujours aussi pertinente d'Annie Ernaux, romancière plus engagée que jamais, soucieuse d'apporter esprit critique et justesse de la réflexion aux grands enjeux de la société actuelle. C'est l'intention derrière cette Maison : faire en sorte que la pensée perdure, se multiplie et foisonne. De quoi donner envie de se replonger dans l'œuvre de l'autrice. Notre préféré ? "Une femme", déclaration d'amour douloureuse d'une fille à sa mère.
Et réflexion bouleversante sur le deuil.