Cette tribune a refait surface dans les médias francophones, traduite intégralement en français par le Nouvel Observateur. Dans ce texte publié initialement le 1er juillet dernier sur le site de la Columbia Journalism Review, Francesca Borri, journaliste italienne freelance de 33 ans, dénonce ses conditions de travail alors qu’elle couvre le conflit syrien. Salaire de misère, blessures sur le front, collègues qui ne s’épargnent pas pour remporter « le » sujet qui fera d’eux le prochain prix Pulitzer : l’univers du journalisme de guerre tel qu’elle le décrit n’est pas tendre. Et la frustration de ne pas pouvoir couvrir le conflit sous l’angle qui lui plaît est grande, face aux demandes des rédacteurs en chef, uniquement attirés par « le sang ». Si le public francophone qui découvre depuis quelques jours cette lettre « d’une pigiste perdue dans l’enfer syrien » semble touché, il en est autrement chez nos voisins transalpins où Francesca Borri soulève la polémique. Tribune « nombriliste », « donneuse de leçon », « pédante » : la jeune femme en prend en effet pour son grade dans les médias italiens qui critiquent autant le fond que la forme de cette lettre ouverte.
Nombreux sont ainsi les lecteurs à s’interroger sur le but de cette tribune : faire parler de la Syrie ou se plaindre publiquement de son sort personnel de journaliste ? Si Mme Borri avait voulu mettre en évidence la problématique des salaires de misère des pigistes italiens, pourquoi dans ce cas ne pas donner clairement le nom du journal qui lui commande des papiers à 70 dollars, soit un peu plus de 50 euros ? Côté forme, beaucoup ont critiqué le style de la journaliste, façonné par les réseaux sociaux, « où l'on parle toujours à la première personne ». « Larmoyant », « pédant », « nombriliste » : les lecteurs apprécient peu que la journaliste se plaigne de son sort et se présente comme une donneuse de leçon, avec des phrases telles que « personne n’avait même entendu parler d’un endroit nommé Homs ».
Et les critiques sont également vives quant au fond de la tribune. Confrères et détracteurs de la journaliste se sont ainsi livrés à un pointilleux exercice de fact-checking, revenant sur ses déclarations et s’étonnant de certaines incohérences. Ainsi, la jeune femme assure avoir reçu une balle dans le genou en Syrie : pourquoi dans ce cas aucun journaliste italien en Syrie n'avait-il entendu parler d'une consœur blessée ? De même, lorsqu’elle assure avoir vu sa jeunesse se volatiliser « quand des morceaux de cervelle m’ont éclaboussée. C’était en Bosnie. J’avais 23 ans », d’aucuns font remarquer qu’il n’y avait pas de conflit à cette époque et que la jeune femme n’avait jamais parlé de cet épisode lors de ses précédents papiers. Lorsqu’elle se présente comme la « première reporter étrangère » à pénétrer dans la ville d’Alep, sur quelles bases se fonde-t-elle ? Malgré les réponses apportées partiellement par Francesca Borri à ses confrères, la polémique demeure sur fond de guéguerre journalistique qui finit par exaspérer les lecteurs : sommes-nous là pour discuter de la carrière de Mme Borri ou du conflit en Syrie ?
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