#GentillessePower. C'est là le mot clé d'un ingénieux manuel de développement aussi bien personnel que professionnel : Les gentils aussi méritent de réussir, aux éditions Alisio. Yannick Alain, Jérôme Horau et Delphine Castellani y décryptent avec minutie et humour l'ADN d'une vertu loin d'être glamourisée – la gentillesse.
Passivité, crédulité, candeur... On associe trop de soi-disant défauts à cette pourtant indéniable qualité. Il faut croire que dans un système individualiste favorisant les rapports de pouvoir, la réussite individuelle et le consumérisme effréné, l'attention portée à soi et (surtout) aux autres font office de valeurs aussi démodées qu'un boomer face à Greta Thunberg.
Pas si étonnant quand discours populaires et esprit d'entreprise binaire réfléchissent en terme de "faiblesse" et de "force". Pourtant, la gentillesse peut s'avérer indispensable au taf. Et voici pourquoi.
La gentillesse définit un intérêt (non forcé, parfois inconscient) porté à l'autre. Elle peut prendre la forme d'un geste aimable, d'un mot sympathique, d'une attitude bienveillante. Mais pour la nourrir, il faut avant tout l'appliquer à soi. Cette insistance sur l'amour porté à soi, sans narcissisme disproportionné, traverse la réflexion de cette ode aux vrais gentils qui s'ignorent. Il y a toujours, à travers le retour à l'autre, une compréhension de ses propres mécanismes, un discernement humble et sain de ses défauts comme de ses qualités.
Et quelle introspection plus logique lorsque l'on travaille, ou gère une entreprise ? Il est question de gentillesse, mais l'on pourrait tout aussi bien parler de "care", cette éthique du soin qui s'avère bien utile pour préserver sa propre santé mentale. L'estime que l'on s'accorde peut volontiers semer les graines de notre propre ambition, présente, ou à venir. Une logique du "soi-m'aime", comme le définit avec justesse ce judicieux manuel.
Et l'un des auteurs de l'avouer : "Pendant longtemps, j'ai cherché la personne qui me donnerait des ailes pour m'envoler plus haut, plus loin. Jusqu'à ce que je réalise que cette personne, c'était moi, et que c'était le bon moment".
Dans la sphère professionnelle, la gentillesse n'est pas simplement une attitude, mais un appel à l'ouverture et à l'interaction. D'autant plus précieux en temps de pandémie précisera-t-on, lorsque même les open-space semblent cloisonnés. La bienveillance, et plus largement l'empathie, s'apprend dès le plus jeune âge, et se partage au fur et à mesure de notre vie d'adulte.
Tant et si bien que même en réunion, entre deux passages à la machine à café, elle reste synonyme d'enseignements. Cultiver la bienveillance c'est s'assurer d'ouvrir la porte à celles et ceux qui façonnent notre environnement professionnel. Valeur, richesse, communication : la gentillesse permet tout cela et pourtant, rares sont les rhétoriques traditionnelles de motivation qui l'associent au lexique de l'entreprise.
Plutôt que de force, Yannick Alain préfère parler "d'énergie sociale de la gentillesse". Un terme qui ne s'appose à une individualité, mais plutôt à un collectif, une suite de singularités qui font société.
La gentillesse, comme l'énergie, se propage. Les gentils méritent de réussir nous l'apprend volontiers : "Si la gentillesse n'empêche pas les difficultés, les déceptions et les échecs, c'est une énergie positive qui contribue au bonheur lorsque nous lui permettons de rayonner". Comme une envie de se la jouer comédie musicale et de chantonner "Let the sunshine in", façon Hair.
"Cette énergie part de soi et rayonne par cercles exponentiels, non seulement dans toutes les sphères de vie d'un individu, mais aussi depuis l'individu vers les autres et enfin le monde", développe l'ouvrage. Autrement dit, la diffusion de cette énergie prend le contrepied des systèmes des hiérarchisation.
En favorisant le partage égalitaire et la propagation circulaire, la bonté incite à repenser les rapports traditionnels d'autorité et de verticalité qui régissent les sphères pros. Ses bonnes ondes tendent à interroger le monde du travail, ses mécanismes, son entre-soi toxique et ses failles.
"Je ne veux pas faire partie d'un monde où être gentil est une faiblesse", avoue Keanu Reeves. Les mots du célèbre acteur américain suggèrent ô combien la gentillesse est source de créativité. Pour celles et ceux qui créent, entreprennent, voire même dirigent. Comme le rappelle effectivement notre ouvrage, la philanthropie elle aussi est une forme de gentillesse. Mais si bien des leaders (et pas les moins connus) en usent, ce sont plus volontiers les notions de compétitivité et d'acharnement au travail qui sont valorisées dans les speech de motivation.
Ce qui est bien dommage. Dans le livre, l'un des auteurs partage une anecdote personnelle : plutôt que de lui imposer des tâches ou de juger hâtivement ses compétences, des responsables lui ont un jour demandé "Qu'est-ce que tu sais faire ? Quelles sont les choses qui t'intéressent ?". Un appel au dialogue qui a porté ses fruits en aboutissant à la réalisation de tâches concrètes et abouties.
"Moi qui me croyais nul et bon à rien, grâce à ces gens là, j'ai eu l'opportunité de me sentir le gars le plus utile de la Terre", s'amuse le narrateur. Puisqu'elle incite à développer ses propres compétences intimes, aussi bien dans le domaine artistique qu'en entreprise, la gentillesse s'avère être une précieuse source de créativité.
Et comme toutes les sources, cette bienveillance érigée en étendard est synonyme de fluidité et de vagues. Elle est "l'énergie d'amour qui métamorphose le monde", nous dit-on. En nous faisant grandir, elle fait grandir les autres. Autrement dit, on a bien tort de réduire cette qualité à une sorte de naïveté passive. Ses effets nous renvoient plutôt aux incidences des bouleversements et des révolutions : la gentillesse nous incite à changer (d'attitude et de point de vue) et par-là même, elle invite les autres à changer à l'unisson.
Quelles autres valeurs prôner pour s'assurer d'un environnement de travail sain et évolutif ?