Gentillesse, n. f. : Caractère de quelqu'un qui est gentil, agréable, gracieux, selon le Larousse. Jusque-là, rien de négatif, bien au contraire. Et pourtant, dire de quelqu'un qu'il ou elle est "gentil·le" revient à signer son arrêt de mort niveau sex-appeal tant le sens du mot est passé de qualité reconnue à défaut évident.
Pourquoi ? Parce que montrer ses sentiments, se soucier des autres et savoir être à l'écoute de leurs besoins - même quand ça signifie simplement aider quelqu'un à porter sa valise de trois tonnes dans le métro - est devenu une faiblesse de taille.
Je m'explique.
En 2019, la "force" est la qualité par excellence. "Être forte", si on se base sur les innombrables mantras qu'on trouve sur les réseaux sociaux, ça veut dire affronter l'adversité et passer à autre chose quand on est blessée. "Go hard or go home". Mener à bien ses projets et surtout, ne pas se laisser marcher sur les pieds - la crainte ultime de notre génération.
Sauf que là où ça se corse, c'est qu'on lui oppose la gentillesse qu'on associe au clan des perdant·es. Pire, on a quasiment l'impression que réussir (côté pro ou perso) est impossible quand on est "trop gentil·le". Pas facile d'être une adorable personne en 2019.
Dans un article du Guardian datant de 2009 et relayé par Courrier International cinq ans plus tard, les journalistes Adam Phillips et Barbara Taylor écrivaient : "Nous avons développé dans nos sociétés une phobie de la gentillesse, évitant les actes de bonté et trouvant toutes sortes de bonnes raisons pour justifier cette aversion."
"Toute compassion est de l'apitoiement sur soi, relevait l'écrivain D.H. Lawrence, et cette formule reflète bien ce qu'inspire aujourd'hui la gentillesse, qui est prise soit pour une forme noble d'égoïsme, soit pour la forme de faiblesse la plus vile (les gentils sont gentils uniquement parce qu'ils n'ont pas le cran d'être autre chose)."
Ambiance. Pour la faire courte, si on a un tant soit peu d'empathie, c'est parce qu'on est cruellement intéressées ou tout simplement de grosses lâches bien planquées. Tout ça dans un monde qui prône aussi la bienveillance, on ne sait plus vraiment où donner de la tête.
Si on regarde les comportements des un·es et des autres de plus près, on remarque rapidement qu'user de méchanceté, de commentaires acerbes et de mécanismes d'ignorance face aux problèmes d'autrui, est beaucoup plus facile que l'inverse. Se cacher derrière une pseudo forteresse qui est en réalité un château de cartes qui camoufle une souffrance intérieure, si ce n'est un je-m'en-foutisme évident, n'a rien de fort.
Être gentil·le et juste tout en gravissant les échelons (là encore, on n'a pas toujours besoin d'arriver en haut de l'échelle sociale et professionnelle pour avoir une vie accomplie) est beaucoup plus compliqué que de tirer dans les pattes de son entourage. Et en fin de compte, réussir en étant gentil·le a davantage de mérite qu'en ayant écrasé un parterre de collègues et d'ami·es jusqu'au Graal de vie qu'on s'était fixé.
La vraie force, c'est justement de revendiquer sa gentillesse. Exprimer ses émotions, les accepter même si elles sont douloureuses et seulement à ce moment-là, passer à autre chose. S'entourer de personnes de qualité de qui on reconnaîtra le talent et accepter leur aide pour s'élever tout en s'assurant qu'elles s'élèvent aussi.
Rester à l'écoute de notre entourage comme des personnes que l'on connaît moins. Accumuler les actions positives qui (et ce n'est pas uniquement ma foi dans le karma qui parle) attirent le positif. Ne pas avoir peur de se confronter à celles et ceux qui pensent autrement.
Être gentil·le ne veut en aucun cas dire qu'on se laissera marcher sur les pieds : c'est savoir baisser la garde lorsque l'on n'est pas menacé·e. Et côté sex-appeal aussi, ça fait des merveilles.