"Attention, certains propos tenus dans cette vidéo peuvent choquer !", nous prévient-on d'emblée. Tu m'étonnes. Malgré l'écrin désuet, il n'y a rien de charmant dans cette vidéo d'archives proposée par L'Institut national de l'audiovisuel à l'occasion du Grenelle des violences conjugales. Elle s'intitule "Comment traitez-vous votre femme ?" et nous renvoie l'espace de quelques minutes dans la France de 1975. Au micro d'une journaliste leur laissant la libre parole, les époux de toute sorte s'y succèdent et s'expriment sur le sujet des violences conjugales. "Violences" qu'ils sont loin, bien loin d'envisager de la sorte. Voyez plutôt...
"Y a des femmes qui aiment ça, [être battues], par habitude peut-être", "Y'en a qui sont pas battues parce qu'elles n'ont pas besoin d'être battues", "Quand le dialogue n'est pas possible, à certaine femmes faut leur faire rentrer "ça" à coups de poing"...
Les propos ahurissants traversent d'une part et d'autre ce micro-trottoir. Jusqu'à la nausée. Ce qui nous remue, ce sont leur teneur bien sûr, mais également le ton, totalement décomplexé, qui les caractérisent. A en croire ces messieurs-tout-le-monde, battre sa femme serait une activité ordinaire, presque un alpha du devoir marital, de l'époux qui se respecte. Plus encore, la violence non-consentie attiserait le désir. Entre autres mythes...
De toutes ces voix issues du programme télévisuel "Bonjour Madame", l'on retiendra encore celle de cet homme qui explique, face-caméra et tout sourire, comme pour défier son interlocutrice journaliste : "Et si je vous disais que moi je bats ma femme, pour qu'elle soit plus gentille et plus amoureuse de moi, qu'est-ce que vous en pensez ?". Difficile de mieux signifier la banalisation des violences conjugales, dédramatisées au possible. Et, surtout, les fantasmes masculins qui recouvrent de tels propos. Tel celui, constant, de la "violence passionnelle", des coups décochés par amour, pendant misogyne de l'adage "qui aime bien châtie bien". C'est cet imaginaire-là qui, encore aujourd'hui, recouvre bien des cas de féminicides.
"Si je veux taper ma femme, je suis sûr qu'elle fera mieux l'amour", s'exprime ainsi l'un des quidams. Or, comme n'ont cessé de le répéter ces illustratrices qui, sur Instagram, se sont récemment mobilisées pour faire connaître le numéro d'écoute national 3919, "On ne tue jamais par amour". Et ce n'est pas évident pour tout le monde. Bien sûr, tout n'est pas noir, et un gentleman (en vérité, un mec simplement pourvu d'empathie) affirme que de telles extrémités lui sont inenvisageables, "même avec une rose". N'empêche, cela ne change pas grand chose au constat : tout comme il y a une culture du viol, il y a bel et bien une culture de la violence conjugale, tissée de certitudes et de croyances diverses, diffuses au sein de la communauté masculine.
"Les réponses montrent que dans les années 70, c'était tout à fait accepté socialement de frapper sa compagne. De nos jours, on a du mal à imaginer que des hommes l'assumeraient face caméra. Mais dans l'intimité des foyers, les choses ont-elles vraiment changé ?", achève à ce titre l'INA non sans une pointe d'angoisse. A l'heure où la barre morbide des cent féminicides vient d'être franchie en France, difficile hélas de se dire que, ouf !, ces pensées toxiques se sont éteintes avec la France giscardienne. D'où l'importance, plus vive que jamais, de (re)voir ces images-choc. Pour faire en sorte que l'Histoire ne se répète pas, il ne faut jamais l'ignorer.