Impossible de rester insensible face à ces images d'une violence inouïe. Une femme porte la main à sa gorge. Elle est ensanglantée. Et elle dit, comme une supplication : "Je ne veux pas mourir". A ses côtés, sa petite fille, apeurée. Quelques instants plus tôt, dans un café de Kirikkale, en Turquie, un homme lui a porté un coup de couteau, sous les yeux de son jeune enfant. Il s'agit de son ex-conjoint. L'histoire Emine Bulut, 38 ans, est celle d'un féminicide. Un de plus, un de trop.
La vidéo de ses derniers instants a été mise en ligne le vendredi 23 août. Un contenu insoutenable. Elle a évidemment suscité une vague d'émoi immédiate sur les réseaux sociaux. Au gré des publications révoltées des internautes, l'indignation générale s'est rapidement dotée d'un nom, ou plutôt d'un mot-dièse, désormais emblématique : #EmineBulut.
"Terrible. Malgré l'indignation d'une bonne partie de la société turque, malgré le nombre effrayant de cas chaque année, ces assassinats de femmes continuent", déplore le reporter Guillaume Perier sur Twitter, qui nous rappelle au passage un chiffre massif : depuis le début de l'année 2019, 221 femmes ont été assassinées en Turquie par leur ex-mari ou conjoint. 440 victimes l'an dernier. Et 15.000 depuis 2002.
"Chaque jour de nouvelles victimes", constate encore le journaliste, qui s'attriste de voir cette violence banalisée et "souvent cachée", qu'elle vise les femmes ou les enfants, quels que soient la région, le milieu social ou la sensibilité religieuse. Et du côté des internautes turques, les hommages pleuvent autant que les colères numériques. Il faut dire que ce drame en dit long sur la condition des femmes en Turquie.
C'est tout du moins l'avis du maire d'Istanbul Ekrem İmamoğlu, qui voit en les derniers mots désespérés d'Emine Bulut ("Je ne veux pas mourir") plus qu'un râle anonyme, "le cri de toutes les femmes assassinées". Emine Bulut est aujourd'hui un tragique symbole, l'énième victime d'une "violence masculine", poursuit le politicien, contre laquelle il convient de lutter, plus que jamais. La situation est urgente. C'est pour cela que sont déjà planifiées dans le pays de nombreuses manifestations citoyennes visant à exprimer cette indignation populaire contre les violences faites aux femmes.
"Nous soutenons les femmes et les enfants dans la lutte contre les violences, et nous continuerons de le faire", rassure Ekrem İmamoğlu dans son communiqué. Pendant ce temps, l'ex-mari et assassin, quant à lui, a posé des mots sur son acte face aux autorités : il explique qu'Emine Bulut l'aurait "insulté". Ils évoquaient alors la garde partagée de leur fille. Et, par-delà la nécessité de la "lutte" annoncée par le maire d'Istanbul, c'est justement vers l'enfant traumatisé que se tournent aujourd'hui bien des regards. Ainsi l'équipe de football turque d'Antalyaspor a-t-elle fait part de sa révolte sur les réseaux sociaux tout en affirmant souhaiter reverser l'intégralité des revenus générés par leurs derniers matchs "pour l'avenir de la fille d'Emine Bulut". Une action qui en dit long sur les réactions populaires suscitées par ce drame.