Ils sont prêts à tout, pour un numéro, un swipe right ou un flirt avec nous. Même à clamer se battre en faveur des droits des femmes. Ces hommes qui crient à qui veut l'entendre qu'ils sont féministes, antiracistes, progressistes dans le simple but d'obtenir un peu de tendresse ne reculeraient devant rien. Et dans ce cas de figure, "rien", c'est mentir effrontément sur leurs convictions. Ça s'appelle le "wokefishing". Explications.
"Woke", littéralement "éveillé·e", est un terme né dans la communauté noire américaine, et auprès du mouvement Black Lives Matter, qui signifie être conscient·e des inégalités sociétales et engagé·e pour que les choses changent. "Fishing" fait référence à l'expression "catfishing", qui désigne une usurpation d'identité en ligne.
En gros, le "wokefish" est un imposteur. Il usurpe une identité "woke" histoire d'attirer l'attention et les faveurs de celles et ceux qui déconstruisent réellement leur pensée. Il doit sûrement savoir que, selon un sondage Ifop, 47 % des Français·e·s interrogé·e·s ont eu une majorité de partenaires sexuels du même bord politique qu'eux et elles. Et pour les couples, les trois quarts se disent du même bord politique que leur conjoint·e.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : la pensée de l'autre est importante sinon déterminante. "Pour les personnes qui comprennent que les convictions politiques affectent les droits de l'homme, il est peu probable qu'une relation saine puisse être maintenue avec quelqu'un dont les valeurs ne correspondent pas aux nôtres", explique en ce sens à Vice Layla, éducatrice sexuelle certifiée. Alors le wokefish s'adapte, hypocritement. Mais son comportement ne suit pas. Et le masque finit par tomber, plus ou moins douloureusement.
Sauf que les premiers temps, ça marche. Et quand on se renseigne sur le sujet, on voit que le phénomène se répand. Tellement d'ailleurs que dans les médias, les témoignages fusent. Ceux de jeunes femmes et de jeunes hommes qui se sont (forcément) laissé·e·s prendre au piège. En même temps rien de plus normal : après de longues années à chercher la perle, quand un type aborde nos combats sans fuir ni malmener "les extrêmes", on craque. Et puis il faut dire qu'il est coriace, le bougre. Infiltré partout, ne nous laissant que très peu de répit.
C'était il y a à peu près un an, lors d'un anniversaire. Une copine et moi avons été accostées par un mec qui semblait mourir d'envie de déblatérer un flot de paroles incontrôlé. Ça n'a pas manqué, en deux minutes, il nous assurait qu'il était féministe et qu'il savait tout du clitoris. Qu'il était pour l'égalité, la libération du corps de la femme. Soit. Le sujet sortait un peu de nulle part et avait l'air récité, mais OK. On est polies, on est restées. Au bout d'un moment, le vent a tourné et le naturel a repris le dessus. Il draguait ouvertement celle (enceinte, moi) qui ne l'intéressait pas, et balançait des piques à l'autre pour que cette dernière finisse par vouloir lui plaire.
Une technique crasse qui entend de s'attaquer à l'estime de soi d'une potentielle partenaire pour déclencher un besoin de validation et d'attention qui amènerait (dans ses rêves) au coït. Efficace, peut-être, mais clairement manipulateur et incompatible avec le respect qu'il prônait en même temps que de se vanter de savoir mettre les doigts au bon endroit. Ce dont on doute autant que de ses convictions, soit dit en passant.
Si ici, la manigance n'est pas allée plus loin, dans d'autres exemples, elle peut faire des dégâts ravageurs. Affecter la confiance en soi et en les autres d'une personne, et son bien-être au quotidien. Pousser à faire des concessions sur des valeurs fondamentales, se laisser petit à petit enfermer dans une relation conflictuelle et nocive. Principalement, rappelle Vice, quand la "proie" s'identifie comme issue d'une communauté marginalisée.
Hannah, 19 ans, raconte au média son expérience avec son ancien petit ami qu'elle a côtoyé pendant six mois : "Lorsque nous avons commencé à parler, il a dit à quel point il trouvait horrible la 'blanchité' de son éducation et qu'il souhaitait que le sud de l'Angleterre [d'où il venait] soit plus diversifié. Mais les choses se sont rapidement dégradées et de la manière la plus extrême possible. Il m'a présentée à ses amis comme 'sa petite amie arabe cochonne' et l'a fait passer pour une blague. Puis un jour, il m'a fait asseoir, s'est mis à pleurer et m'a dit qu'il avait été impliqué dans des groupes néo-nazis."
Pour toutes ces raisons, il est utile de savoir départager les vrais alliés des opportunistes assoiffés de conquêtes aux opinions libérales, qui voudraient redorer un blason souillé par leur personnalité de crevard.
D'abord, ne croire que ce qu'on voit. Comme Saint-Thomas, on attend que les mots se concrétisent par des actes. Voire on scrute le faux pas contradictoire qui trahirait un wokefish notoire. Tom, 23 ans, confie à Vice un exemple criant concernant son ex : "Même s'il parlait d'être progressiste, il se moquait des insultes raciales. C'était comme s'il utilisait le fait d'être un 'guerrier de la justice sociale' comme un trait de personnalité, mais il faisait exactement le contraire." Classique.
Ensuite, regarder la façon dont il traite et parle des personnes du genre opposé, incite Elle Australie. Le magazine évoque notamment le personnage de Nate dans Le Diable s'habille en Prada, bijou pop vu et revu. Et de ses agissements envers sa partenaire, la protagoniste Andrea. "D'abord favorable à ses ambitions, une fois que ça commence à le gêner, il montre son véritable dédain pour les femmes, avec une remarque détournée : 'Je m'en ficherais si tu faisais de la pole dance toute la nuit, du moment que tu le fais avec un peu d'intégrité'".
On rappelle aussi que le type fait une scène parce qu'elle a loupé son anniversaire (bouhou, il a 28 ans) car prise par un boulot qui devait lui ouvrir les portes de postes de rêve, et qui ne durerait de toutes façons qu'un an. Il est pour sa part cuisinier, on doute donc fortement qu'il rentre à 18 heures tapante à l'appartement tous les soirs pour faire la popote. Mais bref.
Autre recommandation : accorder de l'importance aux détails. Si le mot magique "féministe" est imprimé dans sa bio Tinder, c'est mauvais signe. Ou en tout cas, ça demande vérification. Surtout quand on sait que le wokefish dit exactement ce qu'on veut entendre ; c'est justement pour ça qu'on tombe dans le panneau.
Comme un encouragement à flairer l'arnaque en amont et donc à s'épargner bien des peines, le média avise finalement de suivre son intuition si celle-ci alerte que quelque chose cloche. On rajoutera à ces précieux conseils que, quel que soit votre comportement à vous et les circonstances de cette expérience négative, le fautif, c'est lui. De A à Z. Qu'il n'est jamais trop tard pour prendre conscience, sans se culpabiliser, d'à quel point on s'est trompé sur quelqu'un. Et encore moins pour le larguer.