On ne répétera jamais assez : la défense des droits des femmes, ce n'est pas seulement le 8 mars. C'est toute l'année. Mais comment faire avancer l'égalité et la parité, faire reculer le sexisme, les violences sexistes et sexuelles, éradiquer l'excision, défendre le droit à l'avortement, lutter contre les discriminations (trop) multiples ? Comment s'engager quand on a peu de temps ? Les modes d'engagement sont infinis à notre niveau. Des petites actions au militantisme plus spectaculaire, virtuellement ou dans la vraie vie.
Nous avons listé quelques moyens de soutenir la cause et avons interrogé Elvire Duvelle-Charles, co-autrice avec Sarah Constantin de l'excellent Manuel d'activisme féministe. Dans ce guide pratique, pop et accessible, joyeusement illustré par Alice Des, elles livrent des techniques d'activisme à déployer seule ou en groupe. Alors, prêtes à faire bouger les choses ?
C'est l'un des aspects les plus intimidants. Par où commencer ? Parce que s'engager, c'est aussi savoir où on met les pieds. Au moins un minimum.
"Il y a ce sujet du manque de légitimité", souligne Elvire Duvelle-Charles. "Souvent, on a l'impression qu'il faut être hyper calée en théorie féministe pour être légitime pour se battre pour nos droits. Or, pas besoin d'avoir un Bac + 5 pour savoir qu'il y a plein de choses qui ne sont pas normales ! Ce n'est pas normal d'avoir peur de rentrer chez toi la nuit, d'être virée parce que tu es tombée enceinte... Il ne faut pas complexer."
Donc sans apprendre par coeur les livres les plus pointus sur le féminisme, on y va pas à pas, avec des ouvrages ludiques et abordables (comme Le féminisme pour les nul·le·s), on s'abreuve au contact de militantes aguerries, on suit des comptes Twitter et Instagram d'associations. Bref, on s'informe pour rester connecté·e à l'actu, apprendre les bases et se nourrir. La déconstruction est un work in progress permanent donc on ne panique pas.
Que l'on soit trop timide pour pousser la porte d'une asso ou que l'on manque de temps, on peut apporter sa pierre à l'édifice. Là encore, il n'y a pas de petits pas. Que ce soit réclamer l'installation d'un distributeur de tampons dans sa fac, papoter pendant une demi-heure avec un·e ami·e ou encore signer (et faire circuler) une pétition, chaque action, chaque discussion permet d'apporter de la force à la cause des droits des femmes.
"Je crois énormément en l'autonomie des personnes. On peut organiser des choses sans être structurée en tant qu'association. Avec des copines, des collègues, des filles de ton école... D'ailleurs, mener une action en solo peut parfois être plus simple car la prise de décision collective peut être compliquée", renchérit Elvire Duvelle-Charles.
Vous avez une idée ? Lancez-vous. Il y a de fortes chances pour que vous trouviez un écho autour de vous.
On l'a vu à travers les décennies passées, les marches féministes donnent de l'ampleur à la cause des femmes et peuvent changer le cours de l'Histoire. Les manifestations sont de puissants porte-voix. Avec des slogans qui claquent et un déferlement dans les rues, elles constituent un moment important pour faire entendre les revendications et monter le volume d'un cran.
"Les manifestations sont des événements privilégiés pour se rassembler. C'est important de montrer que l'on peut faire front, que l'on est unies", appuie la militante de Clit Revolution.
Ne plus se taire, ne plus rester passive. Que ce soit face à une injustice, au harcèlement ou une agression, une petite remarque bien sexiste au détour d'un couloir... On se lève et on se barre (et/ou on l'ouvre).
"C'est le réflexe féministe et de citoyen·ne de base et ce n'est pas seulement aux femmes de le faire, mais aussi aux hommes. Réagir, c'est beaucoup plus difficile qu'il n'y paraît parce que généralement, on a l'impression d'être dans une position qui nous met en danger. Il y a de la sidération, il y a la responsabilité collective où au final, personne ne fait rien...", souligne Elvire Duvelle-Charles.
Or, bien souvent, une réaction enclenche un processus de réactions en chaîne de témoins qui n'osaient justement pas intervenir. "Il est plus simple de réagir pour les autres que pour soi-même. C'est primordial car lorsque l'on sera soi-même en difficulté, on aura des soutiens."
Pour contrer cette forme de paralysie qui peut nous étreindre lorsqu'il s'agit d'agir, on se prépare un petit stock mental de phrases à dégainer sur le moment et on potasse le guide des bons réflexes de Marie Laguerre.
Se présenter, c'est se donner la chance d'être représentée. Et les femmes ne le sont que trop peu. Donc que cela soit pour les élections des délégué.es du personnel, du comité d'entreprise ou en politique (seules 16 % des maires sont des femmes et 39% des député·es), on se jette à l'eau et sans complexes. Parce qu'il est essentiel d'intégrer un groupe en capacité de faire changer les choses (règlement intérieur, lois...), de prendre la parole et faire avancer l'égalité de l'intérieur.
Objectif ? "Monter sa team anti-patriarcat dans toutes les instances et les institutions", sourit Elvire Duvelle-Charles. "On a tendance à assimiler le fait de se présenter à une question d'ego, alors que cela s'inscrit au contraire dans une démarche collective."
Militer sur les réseaux sociaux est devenu un jeu d'enfant tant l'engagement numérique s'est développé ces dernières années. Et sa force de frappe est immense (coucou #MeToo). Les réseaux sociaux constituent un moyen de pression rapide, efficace, qui ne demandent quasiment aucun moyen financier et ne mettent pas en danger physiquement. "Sur les réseaux sociaux, on a ce pouvoir d'être visibles sans l'aide des médias et sans avoir de notoriété."
Comment s'y prendre ? On peut lancer ou relayer un hashtag, interpeller une personnalité ou une institution, lancer une campagne, avec la possibilité de conserver son anonymat pour se protéger du cyberharcèlement. "Cela permet de multiplier les paroles et de se rendre compte qu'une parole individuelle est une expérience collective. En cela, les réseaux sociaux sont très libérateurs car ils permettent d'avoir accès à des personnes qui ont le même vécu que toi", renchérit Elvire Duvelle-Charles.
On peut également créer son compte Instagram, plateforme qui offre un champ de militances infini : partage de questions/réponses, témoignages, diffusion d'informations ("Notamment sur les minorités car ce sont des sujets souvent bannis des médias mainstream")...
Enfin, on peut également dénoncer, signaler une situation anormale sur son lieu de travail, dans son école, dans une pub. "Les femmes sont 52% de la population en France. On a un pouvoir économique incroyable et les marques le savent. Les réseaux sociaux sont donc un outil redoutable comme le montrent les actions de Pépite sexiste", précise la co-autrice du Manuel d'activisme féministe.
Au-delà des manifestations, on peut déployer tout un tas d'actions concrètes pour soutenir les droits des femmes sur le terrain. Pourquoi ne pas être créative et imaginer des actions impactantes ?
On peut par exemple réinvestir l'espace public avec des collages féministes par exemple. Mais on peut également faire des actions en direct, bloquer sa fac, interrompre une cérémonie, organiser une flashmob...
Les conseils d'Elvire Duvelle-Charles : "Pour que cela fonctionne, il faut que ça soit médiatisé et que ton action soit claire, que l'on comprenne immédiatement pourquoi tu fais ça, même sans son. Donc il faut faire en sorte que l'événement soit filmé. On contacte des journalistes en amont ou on a soi-même une équipe qui filme ou prend des photos. La militante féministe Irene s'était par exemple baladée toute une journée sans protection hygiénique pour interpeller sur la précarité menstruelle. Cela avait eu un écho assez fou et cela avait généré beaucoup de discussions."
Avec un avertissement en tête : ne jamais aller au-delà de ses limites. "Il ne faut jamais se forcer à faire quelque chose avec lequel on est mal à l'aise. Parce que ce type d'actions peut avoir des conséquences juridiques. Si tu pars là-dessus, il faut pouvoir l'assumer pleinement et savoir ce que tu risques juridiquement."
Parce qu'une société ne peut pas changer si seule la moitié de la population est mobilisée. Donc on entame la discussion, on sensibilise autour de nous, on déboulonne calmement les préjugés réacs (ici, un petit guide pour contrer les arguments anti-féministes), on s'énerve parfois (oui, cela peut être très agaçant), mais on reste- toujours- pédagogue pour expliquer la nécessité du féminisme et amener à la réflexion. Parler charge mentale, menstruations, partage des tâches, inégalités salariales, violences sexistes et sexuelles, harcèlement, discriminations est fondamental pour ouvrir les oeillères.
"Beaucoup d'hommes se posent des questions sur comment se situer actuellement. On a tous et toutes été éduqué·e·s dans une société où la culture du viol est prégnante. Il faut donc se détacher de ces modèles."
En embarquant les mecs dans ce vaste travail de transmutation, on fait péter les verrous du modèle patriarcal et on fortifie solidement les fondations pour construire une société plus égalitaire. Toutes et tous ensemble. Mais oui, c'est possible.
Que cela soit une discussion avec une filleule, un neveu, un fils ou une fille, on sensibilise les jeunes et on envoie bouler les stéréotypes de genres (adieu le bleu vs rose, les princesses vs les pirates). Parce qu'elles et ils grandissent dans un monde post-#MeToo, naviguent parmi des comptes Insta décomplexés, fluidifient la sexualité et envoient valser la binarité, on se met à rêver de lendemains qui chantent l'égalité.
"C'est la priorité car ce sont elles et eux qui vont refondre la société et prendre le relais. Ça demanderait trop d'efforts de sensibiliser les vieux mecs blancs dominants. Il est plus important de se focaliser sur la jeune génération pour qu'ils se déconstruisent et reconstruisent une société plus saine", s'enthousiasme Elvire Duvelle-Charles.
La sororité est l'un des socles du féminisme. Une évidence ? Pas vraiment. Car les vieux- et mauvais- réflexes restent fermement ancrés. "On a été élevées à être dans la concurrence et c'est dur de s'en sortir. Il faut s'allier mais cela s'apprend."
Car oui, un élan d'entraide, c'est grand et beau. Et c'est (ré)confortant parce qu'on se tient chaud. Donc se faire la courte-échelle, s'allier, appuyer les leadeuses qui empouvoirent les meufs, s'entraider, se refiler des conseils, soutenir des projets lancés par des femmes, se mobiliser massivement pour aider les femmes oppressées à travers le monde : voilà ce qui nous rendra plus fortes pour changer le monde avec une puissance décuplée. Ne jamais perdre de vue que l'ennemi est en face et il s'appelle le patriarcat.
Et pour aller plus loin, on vous recommande :
Clit Révolution - Manuel d'activisme féministe
De Sarah Constantin, Elvire Duvelle-Charles, Alice Des
Editions Des Femmes (sortie le 12 mars 2020)