Ce 8 mars, c'est la Journée internationale des droits des femmes. Et si pour la peine, on brandissait nos plus beaux manifestes féministes ? Car bien des autrices - et des maisons d'édition - mettent en avant la cause des femmes, leurs combats mais aussi les discriminations et violences qu'elles subissent depuis des siècles. Des écrits accessibles et limpides, idéaux pour s'initier à la lutte quotidienne pour l'égalité des sexes, mais aussi de véritables classiques du genre, virulents et étoffés, autrement dit indispensables pour nourrir une conscience déjà éveillée.
Tout cela se retrouve dans notre petite biblio Terrafemina, à mettre entre toutes les mains.
Qu'est-ce qu'une "virago" ? Une femme "d'allure masculine, autoritaire et criarde", dixit le Larousse (définition du XIXème siècle). Mais le poète Ovide vous dirait plutôt que c'est "une femme guerrière, forte et courageuse, une héroïne". Deux salles, deux ambiances. Et un décalage qui en dit long sur la note d'intention de l'excellente chaîne YouTube du même nom, initiée et présentée par la comédienne Aude Gogny-Goubert. Du côté de Virago, celle que l'on surnomme "Aude GG" déploie le parcours des femmes exemplaires les plus illustres et bien souvent les moins médiatisées de l'Histoire.
Des figures célébrées ou oubliées que l'actrice se permet d'incarner à l'écran, avec érudition et humour. Un mix que l'on retrouve dans l'adaptation en livre de ces vidéos d'utilité publique. Avec V comme Virago (un titre qui sonne comme le révolutionnaire V pour Vendetta), Aude Gogny-Goubert et Adrien Rebaudo délivrent un opus aussi accessible et coloré que féministe. S'entrelacent les portraits de Lady Diana et Olympe de Gouges, Françoise Héritier et Joséphine Baker, Frida Kahlo et Simone Veil, ravivées par les illustrations subtiles de Léna Bousquet.
Par-delà le prestige d'icônes comme Louise Michel ou Françoise Giroud, on y découvre les luttes de l'alpiniste japonaise Junko Tabei (la première femme à gravir l'Everest), de la cosmonaute russe Valentina Terechkova (la première femme à voler dans l'espace) ou encore de l'activiste somalienne Leyla Hussein. Inspirant !
V comme Virago, d'Aude Gogny-Goubert et Adrien Rebaudo.
Editions First, 170 p.
C'est le genre d'initiative salutaire qui devrait se faire savoir dans les lycées et facultés du pays : la maison d'édition Des Femmes - Antoinette Fouque a décidé de sortir en format Poche quelques classiques du féminisme américain, pour un prix attractif - dix euros seulement. Parmi ces "must-read" à la couverture rouge sanguine - la couleur des grands soulèvements - se trouve donc cette réédition de Femmes, race et classe, une étude incisive de la légendaire Angela Davis sur le rapport houleux entre l'émancipation des femmes et celle du peuple noir. Car bien trop souvent, les femmes noires ont été exclues des révolutions féministes...
Au sein de cet ouvrage anticapitaliste alerte et éloquent, la figure historique du mouvement des droits civiques revient notamment sur le stéréotype raciste du "violeur noir" (qu'elle déboulonne en rappelant le taux d'agressions sexuelles perpétues par des hommes blancs), les formes d'esclavagisme moderne, le peu de considération de la bourgeoisie blanche "progressiste" à l'égard leurs domestiques de couleur, mais aussi le calvaire enduré par les femmes esclaves, agressées physiquement et sexuellement, enchaînées, humiliées...
Ces femmes opprimées, écrit Angela Davis, "ont légué un héritage de dur labeur, d'autonomie, un héritage de ténacité, de résistance, une volonté d'égalité à leurs descendantes qui sont nées libres". Et l'autrice de l'affirmer : "Cet héritage a permis une autre approche de la condition de la femme". Pour savoir pourquoi, foncez lire ce monument de virulence éclaircie.
Femmes, race et classe, par Angela Davis.
Editions Des Femmes, 300 p.
Le sous-titre résume bien l'ambition de cette immersion d'envergure : "23 récits d'une révolution planétaire". Loin de limiter le combat féministe à un seul pays ou une seule cause, ce recueil d'articles étayés et d'entrevues éclate les frontières. Les focus limpides qui le composent nous disent tout sur l'oppression systématique des personnes transgenres en Inde, les mobilisations des militantes en Irak, les manifestations contre les violences conjugales en Russie, la lutte anticoloniale en Palestine... Autant de sujets "touchy" et pourtant si essentiels pour bâtir une réflexion plus exhaustive, juste et globale.
Pourquoi la grève féministe qui a bousculé la Suisse l'an dernier est-elle si importante ? Comment la Chine s'est-elle saisie de la déferlante #MeToo ? Pourquoi parle-t-on si peu de l'investissement des activistes irakiennes dès la chute de Saddam Hussein ? Ou des réponses indignées au fléau des violences faites aux femmes en Italie ? Toutes les réponses à ces interrogations - et bien plus - se retrouvent dans ce livre à la belle couverture violette. La couleur des grandes révoltes féministes.
Féminismes dans le monde, sous la direction de Pauline Delage et Fanny Gallot.
Editions Textuel, 200 p.
Autre classique du féminisme outre-Atlantique, La politique du mâle nous rappelle que la militance passe bien souvent pas la déconstruction des oeuvres artistiques les plus célébrées. Et c'est à un impressionnant exercice de critique littéraire que se prête Kate Millett dans cette réflexion de sept-cent pages. Déboulonnant les idoles d'une certaine sphère "légitime" (D.H Lawrence, l'auteur de L'amant de Lady Chatterley, mais aussi le romancier et journaliste Norman Mailer), l'autrice s'éternise notamment sur les mots que posent ces artistes sur les actes sexuels.
Un sexe qui bien souvent s'avère binaire, et plus encore révélateur d'une certaine domination masculine - et de tous les fantasmes libidineux qui vont avec. Sexualité et art s'entrechoquent pour n'aboutir qu'à un constat, nuancé : l'expression de la suprématie patriarcale. Un pouvoir décliné au gré d'oeuvres qui, bien que sulfureuses (comme celles d'Henry Miller par exemple), participent à asseoir ce regard profondément masculin sur le désir. Autant vous dire que cet angle d'attaque est encore d'actualité. "Peut-être l'arme psychologique la plus puissante du patriarcat est-elle simplement son caractère universel et sa longévité", déplore à ce titre l'autrice.
Et dans cette exploration intellectuelle et frontale des écritures genrées, Kate Millett brasse large, de la psychanalyse freudienne aux névroses sexuelles de l'Amérique - celle des années soixante. Dense.
La politique du mâle, par Kate Millett.
Editions Des Femmes, 680 p.
Dans un premier temps, on ne lit pas La place des femmes. Non, on s'attarde sur la beauté iconographique de ce magnifique ouvrage gorgé d'illustrations et de gravures, de photographies archivées et d'esquisses d'époque. C'est bien simple, il y en a plus d'une centaine. Des images fortes auquel le grand format de ce livre fait honneur. Et puis très vite, l'on dévore le fond de l'ouvrage : un échange au très long cours entre le journaliste Jean Lebrun (La marche de l'histoire) et l'historienne et militante féministe Michelle Perrot sur l'évolution de la condition féminine.
Et plus précisément, sur la visibilité de la gent féminine au sein de l'espace public. Des prestigieux salons littéraires du XVIème siècle aux manifestations des Gilets Jaunes, des laveries d'antan, véritables lieux de sociabilisation, aux instances politiques d'aujourd'hui, où sont les femmes en France ? Nulle part et partout à la fois. Des courtisanes parisiennes dont Balzac contait les "splendeurs et misères" aux politiciennes révolutionnaires de notre ère, les femmes sont là, iconiques, et pourtant elles ne cessent d'être invisibilisées. Un curieux paradoxe.
Car après tout, assène Michelle Perrot avec érudition, les femmes ne sont pas juste dans l'espace public, elles SONT l'espace public ! "Les allégories féminines - villes, fleuves, vertus, muses couronnant les grands hommes ou femmes reconnaissantes pâmées à leurs pieds - peuplent une statuaire envahissante. Nations et régimes politiques s'incarnent souvent dans une femme", analyse la spécialiste. Décortiquant une évolution sociétale qui s'énonce en siècles, la prose foisonnante de Michelle Perrot fait de cet "espace" la source de révolutions, passées ou à venir.
Une révolution qui n'est jamais mieux résumée que par l'inénarrable Christiane Taubira, dont les mots sont bien mis en évidence : "Nous, les femmes, nous voulons être la moitié de tout, pas vos moitiés [...] Le monde qui vient devra s'habituer partout à la présence de nos filles, de vos filles".
La place des femmes : une difficile conquête de l'espace public, par Michelle Perrot.
Editions Textuel, 175 p.
Autre indispensable des éditions Des Femmes, Le féminisme irréductible porte en lui l'un des combats de la professeure de droit et de sciences politiques américaine Catharine A. MacKinnon : la virulente critique de l'industrie pornographique, comme outil d'objectification, d'exploitation et d'humiliation des femmes.
Publié à la fin des années quatre-vingt, cet ouvrage fait le point sur bien des scandales, du tournage crasseux de Gorge Profonde, classique du X au sujet duquel l'actrice principale Linda Lovelace ne cessera de dire "Chaque fois que quelqu'un voit ce film, il me voit en train de me faire violer", au système Playboy, le magazine - et immense succès éditorial - qui "vend" au lectorat masculin ses fameuses "Playmate"... Mais à quel prix ?
Les mots de la théoricienne et militante sont sans concession. Il y est notamment question de "misogynie sexualisée" et de culture du viol, des formes de domination en jeu au sein du cinéma hardcore et de ce que met réellement en scène la pornographie "mainstream", laquelle "conditionne l'orgasme masculin à la subordination des femmes". Une pensée irréductible donc, mais aussi politique et engagée, non seulement sur la pornographie de la fin du vingtième siècle (aujourd'hui, des voix plus féministes déboulonnent les codes), mais sur la condition des femmes en général.
Le féminisme irréductible, par Catharine A. MacKinnon.
Editions Des Femmes, 410 p.
"Un atlas novateur et indispensable à toute bonne bibliothèque", s'enthousiasme le prestigieux Washington Post. Et le journal américain a bien raison. L'atlas des femmes révèle les dessous des cartes de notre monde, détaillées à grands coups de data (données), graphiques et pourcentages. Des chiffres clairs comme de l'eau de roche qui disent la réalité des discriminations mondiales, des violences sexistes et sexuelles. Riche en illustrations et en informations factuelles, cet ouvrage est indispensable pour s'initier aux grands enjeux du féminisme.
On y apprend tout un tas de choses : la proportion (inégalitaire) des femmes dans les forces armées actives, les divergences d'apparition du droit de vote féminin selon les pays (mais aussi celle du droit à l'avortement), la disparité financière (notamment les "niveaux" de pauvreté et richesse selon les genres), l'inégale répartition des tâches ménagères, ou encore la condition des jeunes filles aux quatre coins du globe - au niveau économique, éducatif...
"Ce livre unique sort les femmes de l'ombre. Chaque page dénonce les injustices qui leur sont faites et pointe l'ampleur du travail encore à accomplir", décrypte la militante libérienne et Prix Nobel de la paix Leymah Gbowee. Des éloges qui pourraient convenir à tous les opus recommandés ici, nécessaires pour faire bouger les choses et éveiller les consciences. On y croit. Comme le chante Aretha Franklin : "A change is gonna come".
L'atlas des femmes, par Joni Seager.
Editions Robert Laffont, 207 p.